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(1961) Un mythe moderne, Carl G. Jung - Editions Gallimard, collection Folio/Essai
Mer 27 Oct 2010, 07:14
Un mythe moderne de Carl G.Jung
L'apparente absence de pesanteur des soucoupes volantes est certes une histoire bien difficile à digérer ; mais, se dit-on, notre physique moderne a fait récemment tant de découvertes qui touchent au miracle ! Pourquoi des habitants plus avancés d'autres planètes ne pourraient-ils pas avoir trouvé le moyen de supprimer la pesanteur et d'atteindre la vitesse de la lumière ou même davantage ? La physique nucléaire a créé dans les cerveaux des profanes une incertitude de jugement qui dépasse de très loin celle des physiciens, et qui fait apparaître comme possibles des choses qu'on aurait jugées stupides et exagérées il y a très peu de temps encore. Les soucoupes volantes peuvent donc facilement être interprétées comme un nouveau miracle de la physique et être accréditées comme telles. Je me rappelle ici non sans malaise l'époque à laquelle j'étais persuadé que quelque chose qui était plus lourd que l'air ne pouvait pas voler ; peu de temps après je dus avec une certaine gêne me rendre à l'évidence.
Extrait de Un mythe moderne de Carl G. Jung
Un mythe moderne
Des "signes du ciel"
"Cet ouvrage traite "de ces bruits, de ces rumeurs qui courent, issus de tous les coins du monde, sur des objets ronds, circulant à travers notre troposphère et notre stratosphère, objets que l'on appelle des "soucoupes volantes", des "disques", des "sauceurs" ou des "Ufos" (Unidentified Flyind Objects, objets volants non identifiés)."
Jung précise : "Cette rumeur, ces bruits et le problème de l'existence physique éventuelle des objets volants qu'ils évoquent me paraissent tellement importants que je crois de mon devoir de lancer un cri d'alarme, comme je le fis à l'époque où se préparaient des événements qui devaient frapper l'Europe au plus profond d'elle-même". Il fait allusion ici à la seconde guerre mondiale (voir le chapitre Wotan publié en 1936, Aspects du monde contemporain).
Il ajoute : "l'humanité doit s'attendre à des événements d'où sortira la fin d'un éon, la fin d'une ère, la fin d'une grande époque du monde." Ce livre nous donne des indications précieuses sur le sens de ces événements qui sont aujourd'hui d'une première actualité.
Traduction par Roland Cahen, René et Françoise Baumann,
Éditions Gallimard folio, 328 pages.
Introduction
Rien n'est plus difficile que d'apprécier à sa juste valeur la portée d'évènements contemporains, nos jugements à leur propos risquant fort, en effet, de s'enliser dans des subjectivismes. Je me rends parfaitement compte du risque que j'assume en m'apprêtant à faire connaître mon opinion sur certains évènements récents, auxquels j'attribue importance et signification. Il s'agit de ces bruits, de ces rumeurs qui courent, issus de tous les coins du monde, sur des objets ronds, circulant à travers notre troposphère et notre stratosphère, objets que l'on appelle des « soucoupes volantes », des « disques », des « saucers » ou des « Ufos » (Unidentified Flying Objects, objets volants non identifiés).
Cette rumeur, ces bruits et le problème de l'existence physique éventuelle des objets volants qu'ils évoquent me paraissent tellement important que je crois de mon devoir de lancer un cri d'alarme, comme je le fis à l'époque où se préparaient des évènements qui devaient frapper l'Europe au plus profond d'elle-même. Certes, je sais parfaitement que ma voix, aujourd'hui comme autrefois, est beaucoup trop faible pour atteindre les multitudes. D'ailleurs, ce n'est point cette prétention qui m'anime ; simplement ma conscience de médecin me conseille de faire mon devoir, pour prévenir ceux qui voudront bien m'écouter et les préparer au fait que l'humanité doit s'attendre à des évènements d'où sortira la fin d'un éon, la fin d'une ère, la fin d'une grande époque du monde.
L'histoire de l'ancienne Égypte, déjà, nous l'enseigne : à chaque fin d'un « mois platonicien » et au début du suivant apparaissent des phénomènes de transformation psychique. Il s'agit là, semble-t-il, de changements qui affectent la constellation et l'activité des dominantes psychiques, des archétypes, des « dieux », et qui provoquent ou accompagnent les modifications séculaires de la psyché collective. Pareilles évolutions, pareilles mutations sont déjà intervenues au cours de la période historique, laissant leurs traces dans la tradition : tout d'abord durant la transition entre l'ère du taureau et celle du bélier, ensuite au passage de l'ère du bélier à celle des poissons, le début de cette dernière coïncidant avec la naissance du christianisme.
Aujourd'hui, nous approchons de la grande transformation qui est à prévoir avec l'entrée du point de printemps dans le verseau. Je serais ridicule si je prétendais dissimuler au lecteur que de telles réflexions sont non seulement impopulaires à l'extrême, mais en outre qu'elles seront probablement très mal vues, car elles rappellent d'une manière inquiétante ces brouillards fantasmatiques, qui obscurcissent les cerveaux des augures et des faux prophètes. Je dois pourtant prendre le risque d'être confondu avec ces derniers et mettre ainsi en jeu ma réputation – fruit d'une longue carrière, marquée par bien des efforts et bien des luttes – d'homme loyal, d'être digne de confiance et capable de jugements scientifiques. Mes lecteurs peuvent en être assurés : ce n'est pas d'un cœur léger que je m'y décide. Je le fais parce que je me sens – à franchement parler – , profondément soucieux du sort de tous ceux qui seront surpris par les évènements et qui, faute d'y être préparés, leur seront livrés, pieds et poings liés, et les subiront sans le recours d'aucune compréhension. Personne jusqu'ici – pour autant que mon information me permette d'en juger – ne s'est demandé quels seraient les effets psychiques des transformations qui nous attendent. C'est pourquoi j'estime qu'il est de mon devoir – dans la mesure du possible et de mes moyens – de tenter de les esquisser. Je m'attelle résolument à cette tâche ingrate, mais sans me dissimuler que mon burin risque fort de glisser sur la pierre dure qu'il essayera de ciseler.
Récemment, j'ai exprimé dans la « Welwoche », en un petit article, quelques réflexions sur la nature des soucoupes volantes. J'étais parvenu à la même conclusion que le rapport semi-officiel, paru peu de temps après, de Edward J. Ruppelt, ancien chef du bureau chargé, aux U.S.A., de l'observation des dites soucoupes volantes. Cette conclusion est la suivante : on voit quelque chose mais on ne sait pas quoi. Il est même très difficile – pour ne pas dire impossible – de se faire une idée claire de ces objets, car ils ne se comportent pas en corps matériels : ils échappent à la pesanteur, comme le feraient des pensées. Jusqu'ici, on n'a pas trouvé de preuve indubitable de l'existence physique des soucoupes volantes, à l'exception des cas où un échos a pu être enregistré au radar. Sur la confiance qu'il faut accorder à de telles observations au radar, j'ai interrogé le professeur Max Knoll, spécialiste en la matière, professeur d'électronique à la Princeton University et à l'École Polytechnique de Munich. Les précisions qu'il a bien voulu me donner ne sont pas spécialement encourageantes. Toutefois, il semble exister des cas attestés où l'observation visuelle a été confirmé par un écho simultané au radar. J'attire l'attention du lecteur sur les livres du Major Donald Keyhoe, qui se basent en partie sur du matériel officiel et qui s'efforcent d'éviter le plus possible les spéculations échevelées, le manque d'esprit critique et les préjugés qui fourmillent dans d'autres publications.
Le problème de la réalité physique des soucoupes volantes est posé depuis un dizaine d'années, sans pouvoir être tranché définitivement, ni dans un sens ni dans l'autre, bien qu'on ait accumulé durant cette période un grand matériel expérimental. Plus cette incertitude se prolongeait, plus grandissait la probabilité que le phénomène, manifestement compliqué, comportât également – à côté d'un substratum physique possible – une composante psychique d'un poids essentiel. Ceci n'est pas fait pour nous surprendre, puisqu'il s'agit là d'un phénomène apparemment physique, caractérisé d'une part par la fréquence des ses manifestations, de l'autre par son étrangeté, sa bizarrerie, son potentiel d'inconnu, voire par sa nature physique contradictoire. Un tel objet – par son imprécision et son évanescence même – peut provoquer, mieux que tout autre, des imaginations conscientes ou des phantasmes inconscients. Les premières suscitent des suppositions, des spéculations et aussi des affabulations erronées, tandis que les seconds fournissent l'arrière-plan mythologique susceptible d'être mis en jeu, d'être déclenché par des observations aussi irritantes.
C'est ainsi que ce créa un situation dans laquelle – avec la meilleure volonté du monde – on ignorait si l'on avait affaire à une perception primaire suivie de phantasmes ou si, à l'inverse, il s'agissait de fantaisies inconscientes primaires qui, en gestation dans l'inconscient, assaillaient le conscient, l'inondant d'illusions et de visions. Les matériaux dont j'ai pu avoir connaissance jusqu'ici, c'est à dire au cours de la dernière décade, légitiment également les deux points de vue : dans un cas c'est un événement objectif réel, donc physique, qui constitue le point d'appel du mythe, dont il s'accompagne dorénavant ; dans l'autre cas, c'est un archétype qui crée la vision correspondante. À ces relations causales, il faut ajouter une troisième possibilité, celle d'une coïncidence synchronique, c'est à dire acausale, mais pourvue de sens, coïncidence qui a toujours préoccupé les esprits depuis Geulincx, Leibnitz et Schopenhauer. Cette dernière façon de voir les choses s'impose en particulier pour les phénomènes étudiés ici, car ils sont en rapport avec certains processus psychiques de nature archétypique. En tant que psychologue, je ne dispose pas de moyen qui me permettraient de contribuer utilement à trancher le problème de la réalité physique des soucoupes volantes. Je peux uniquement me pencher sur l'aspect psychique indéniable du phénomène ; je me contenterai donc, dans ce qui suit, de m'occuper presque exclusivement de ses incidences psychologiques.
L'apparente absence de pesanteur des soucoupes volantes est certes une histoire bien difficile à digérer ; mais, se dit-on, notre physique moderne a fait récemment tant de découvertes qui touchent au miracle ! Pourquoi des habitants plus avancés d'autres planètes ne pourraient-ils pas avoir trouvé le moyen de supprimer la pesanteur et d'atteindre la vitesse de la lumière ou même davantage ? La physique nucléaire a créé dans les cerveaux des profanes une incertitude de jugement qui dépasse de très loin celle des physiciens, et qui fait apparaître comme possibles des choses qu'on aurait jugées stupides et exagérées il y a très peu de temps encore. Les soucoupes volantes peuvent donc facilement être interprétées comme un nouveau miracle de la physique et être accréditées comme telles. Je me rappelle ici non sans malaise l'époque à laquelle j'étais persuadé que quelque chose qui était plus lourd que l'air ne pouvait pas voler ; peu de temps après je dus avec une certaine gêne me rendre à l'évidence.
Extrait de Un mythe moderne de Carl G. Jung
Un mythe moderne
Des "signes du ciel"
"Cet ouvrage traite "de ces bruits, de ces rumeurs qui courent, issus de tous les coins du monde, sur des objets ronds, circulant à travers notre troposphère et notre stratosphère, objets que l'on appelle des "soucoupes volantes", des "disques", des "sauceurs" ou des "Ufos" (Unidentified Flyind Objects, objets volants non identifiés)."
Jung précise : "Cette rumeur, ces bruits et le problème de l'existence physique éventuelle des objets volants qu'ils évoquent me paraissent tellement importants que je crois de mon devoir de lancer un cri d'alarme, comme je le fis à l'époque où se préparaient des événements qui devaient frapper l'Europe au plus profond d'elle-même". Il fait allusion ici à la seconde guerre mondiale (voir le chapitre Wotan publié en 1936, Aspects du monde contemporain).
Il ajoute : "l'humanité doit s'attendre à des événements d'où sortira la fin d'un éon, la fin d'une ère, la fin d'une grande époque du monde." Ce livre nous donne des indications précieuses sur le sens de ces événements qui sont aujourd'hui d'une première actualité.
Traduction par Roland Cahen, René et Françoise Baumann,
Éditions Gallimard folio, 328 pages.
Introduction
Rien n'est plus difficile que d'apprécier à sa juste valeur la portée d'évènements contemporains, nos jugements à leur propos risquant fort, en effet, de s'enliser dans des subjectivismes. Je me rends parfaitement compte du risque que j'assume en m'apprêtant à faire connaître mon opinion sur certains évènements récents, auxquels j'attribue importance et signification. Il s'agit de ces bruits, de ces rumeurs qui courent, issus de tous les coins du monde, sur des objets ronds, circulant à travers notre troposphère et notre stratosphère, objets que l'on appelle des « soucoupes volantes », des « disques », des « saucers » ou des « Ufos » (Unidentified Flying Objects, objets volants non identifiés).
Cette rumeur, ces bruits et le problème de l'existence physique éventuelle des objets volants qu'ils évoquent me paraissent tellement important que je crois de mon devoir de lancer un cri d'alarme, comme je le fis à l'époque où se préparaient des évènements qui devaient frapper l'Europe au plus profond d'elle-même. Certes, je sais parfaitement que ma voix, aujourd'hui comme autrefois, est beaucoup trop faible pour atteindre les multitudes. D'ailleurs, ce n'est point cette prétention qui m'anime ; simplement ma conscience de médecin me conseille de faire mon devoir, pour prévenir ceux qui voudront bien m'écouter et les préparer au fait que l'humanité doit s'attendre à des évènements d'où sortira la fin d'un éon, la fin d'une ère, la fin d'une grande époque du monde.
L'histoire de l'ancienne Égypte, déjà, nous l'enseigne : à chaque fin d'un « mois platonicien » et au début du suivant apparaissent des phénomènes de transformation psychique. Il s'agit là, semble-t-il, de changements qui affectent la constellation et l'activité des dominantes psychiques, des archétypes, des « dieux », et qui provoquent ou accompagnent les modifications séculaires de la psyché collective. Pareilles évolutions, pareilles mutations sont déjà intervenues au cours de la période historique, laissant leurs traces dans la tradition : tout d'abord durant la transition entre l'ère du taureau et celle du bélier, ensuite au passage de l'ère du bélier à celle des poissons, le début de cette dernière coïncidant avec la naissance du christianisme.
Aujourd'hui, nous approchons de la grande transformation qui est à prévoir avec l'entrée du point de printemps dans le verseau. Je serais ridicule si je prétendais dissimuler au lecteur que de telles réflexions sont non seulement impopulaires à l'extrême, mais en outre qu'elles seront probablement très mal vues, car elles rappellent d'une manière inquiétante ces brouillards fantasmatiques, qui obscurcissent les cerveaux des augures et des faux prophètes. Je dois pourtant prendre le risque d'être confondu avec ces derniers et mettre ainsi en jeu ma réputation – fruit d'une longue carrière, marquée par bien des efforts et bien des luttes – d'homme loyal, d'être digne de confiance et capable de jugements scientifiques. Mes lecteurs peuvent en être assurés : ce n'est pas d'un cœur léger que je m'y décide. Je le fais parce que je me sens – à franchement parler – , profondément soucieux du sort de tous ceux qui seront surpris par les évènements et qui, faute d'y être préparés, leur seront livrés, pieds et poings liés, et les subiront sans le recours d'aucune compréhension. Personne jusqu'ici – pour autant que mon information me permette d'en juger – ne s'est demandé quels seraient les effets psychiques des transformations qui nous attendent. C'est pourquoi j'estime qu'il est de mon devoir – dans la mesure du possible et de mes moyens – de tenter de les esquisser. Je m'attelle résolument à cette tâche ingrate, mais sans me dissimuler que mon burin risque fort de glisser sur la pierre dure qu'il essayera de ciseler.
Récemment, j'ai exprimé dans la « Welwoche », en un petit article, quelques réflexions sur la nature des soucoupes volantes. J'étais parvenu à la même conclusion que le rapport semi-officiel, paru peu de temps après, de Edward J. Ruppelt, ancien chef du bureau chargé, aux U.S.A., de l'observation des dites soucoupes volantes. Cette conclusion est la suivante : on voit quelque chose mais on ne sait pas quoi. Il est même très difficile – pour ne pas dire impossible – de se faire une idée claire de ces objets, car ils ne se comportent pas en corps matériels : ils échappent à la pesanteur, comme le feraient des pensées. Jusqu'ici, on n'a pas trouvé de preuve indubitable de l'existence physique des soucoupes volantes, à l'exception des cas où un échos a pu être enregistré au radar. Sur la confiance qu'il faut accorder à de telles observations au radar, j'ai interrogé le professeur Max Knoll, spécialiste en la matière, professeur d'électronique à la Princeton University et à l'École Polytechnique de Munich. Les précisions qu'il a bien voulu me donner ne sont pas spécialement encourageantes. Toutefois, il semble exister des cas attestés où l'observation visuelle a été confirmé par un écho simultané au radar. J'attire l'attention du lecteur sur les livres du Major Donald Keyhoe, qui se basent en partie sur du matériel officiel et qui s'efforcent d'éviter le plus possible les spéculations échevelées, le manque d'esprit critique et les préjugés qui fourmillent dans d'autres publications.
Le problème de la réalité physique des soucoupes volantes est posé depuis un dizaine d'années, sans pouvoir être tranché définitivement, ni dans un sens ni dans l'autre, bien qu'on ait accumulé durant cette période un grand matériel expérimental. Plus cette incertitude se prolongeait, plus grandissait la probabilité que le phénomène, manifestement compliqué, comportât également – à côté d'un substratum physique possible – une composante psychique d'un poids essentiel. Ceci n'est pas fait pour nous surprendre, puisqu'il s'agit là d'un phénomène apparemment physique, caractérisé d'une part par la fréquence des ses manifestations, de l'autre par son étrangeté, sa bizarrerie, son potentiel d'inconnu, voire par sa nature physique contradictoire. Un tel objet – par son imprécision et son évanescence même – peut provoquer, mieux que tout autre, des imaginations conscientes ou des phantasmes inconscients. Les premières suscitent des suppositions, des spéculations et aussi des affabulations erronées, tandis que les seconds fournissent l'arrière-plan mythologique susceptible d'être mis en jeu, d'être déclenché par des observations aussi irritantes.
C'est ainsi que ce créa un situation dans laquelle – avec la meilleure volonté du monde – on ignorait si l'on avait affaire à une perception primaire suivie de phantasmes ou si, à l'inverse, il s'agissait de fantaisies inconscientes primaires qui, en gestation dans l'inconscient, assaillaient le conscient, l'inondant d'illusions et de visions. Les matériaux dont j'ai pu avoir connaissance jusqu'ici, c'est à dire au cours de la dernière décade, légitiment également les deux points de vue : dans un cas c'est un événement objectif réel, donc physique, qui constitue le point d'appel du mythe, dont il s'accompagne dorénavant ; dans l'autre cas, c'est un archétype qui crée la vision correspondante. À ces relations causales, il faut ajouter une troisième possibilité, celle d'une coïncidence synchronique, c'est à dire acausale, mais pourvue de sens, coïncidence qui a toujours préoccupé les esprits depuis Geulincx, Leibnitz et Schopenhauer. Cette dernière façon de voir les choses s'impose en particulier pour les phénomènes étudiés ici, car ils sont en rapport avec certains processus psychiques de nature archétypique. En tant que psychologue, je ne dispose pas de moyen qui me permettraient de contribuer utilement à trancher le problème de la réalité physique des soucoupes volantes. Je peux uniquement me pencher sur l'aspect psychique indéniable du phénomène ; je me contenterai donc, dans ce qui suit, de m'occuper presque exclusivement de ses incidences psychologiques.
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Re: (1961) Un mythe moderne, Carl G. Jung - Editions Gallimard, collection Folio/Essai
Mer 27 Oct 2010, 07:36
Les soucoupes volantes en tant que rumeur publique
On raconte sur les soucoupes volantes des histoires qui sont non seulement d'une parfaite invraisemblance, mais qui semblent en outre défier les données générales de la physique ; dès lors, une réaction négative, un refus pur et simple, basés sur le bon sens critique, semblent inévitable à l'égard de ce phénomène : chacun est en droit de penser qu'il s'agit là d'illusions, de fantaisies, de mensonges ! Les personnes, se dit-on, qui rapportent de tels faits (pilotes, membres du personnel des bases aériennes) doivent être un peu détraquées ! De plus, ces récits nous viennent d'Amérique, pays des possibilités illimitées et de la science-fiction.
En accord avec cette réaction naturelle, nous considérons tout d'abord les récits sur les soucoupes volantes comme de simples on-dit, de simples rumeurs, et nous essayerons de tirer de ces manifestations psychiques toutes les déductions que nous permet notre méthode analytique.
Sans l'optique de notre scepticisme, les rapports sur les soucoupes volantes nous apparaîtront tout d'abord comme un récit qui se répète et se raconte à travers le vaste monde, mais un récit d'une espèce particulière, se distinguant des rumeurs habituelles par le fait que son expression va jusqu'à prendre la forme de visions ; peut-être même ce récit est-il créé de toutes pièces ou entretenu par des visions. J'appelle cette forme relativement rare de rumeur la rumeur visionnaire. Elle est très proche parente des visions collectives, comme par exemple celles des Croisés pendant le siège de Jérusalem, des combattants de Mons pendant le première guerre mondiale, de la foule croyante de Fatima, des troupes garde-frontière de la Suisse centrale pendant la deuxième guerre mondiale... etc. Abstraction faite de telles visions collectives, il est également des cas dans lesquels une ou plusieurs personnes voient quelque chose qui n'existe pas physiquement. Ainsi, il m'est arrivé d'assister à une séance spirite pendant laquelle quatre des cinq observateurs ont vu un petit corps en forme de lune flotter au-dessus de l'abdomen du médium et m'ont désigné, à moi cinquième observateur, l'endroit exact où le phénomène avait eu lieu. Il paraissant absolument incroyable que je n'aie rien aperçu. Je connais trois autres cas dans lesquels certains faits, avec tous les détails, ont été observés (deux fois par deux personnes et une fois par une), alors qu'il a été prouvé par la suite que ces faits étaient inexistants. Deux de ces cas se sont déroulés sous mes yeux.
« Deux témoins », dit un proverbe allemand, « suffisent à attester l'entière vérité ». Même si ce proverbe est statistiquement exact, on peut, dans certains cas, le prendre en défaut. Il peut également arriver qu'un individu, bien qu'en possession de tout son bon sens et de son entière responsabilité, perçoive des choses qui n'existent pas. Je ne saurais fournir d'explications pour des phénomènes de ce genre. Peut-être arrivent-ils même moins rarement que je me plais à le croire ; car d'habitude on ne vérifie pas ce que l'on a vu « de ses propres yeux » et on apprend donc jamais que cela n'existait pas.
Je mentionne ces possibilités un peu lointaines parce qu'il ne faut négliger aucun aspect des choses dans une affaire aussi exceptionnelle que celle des soucoupes volantes.
La condition pour que se crée une rumeur visionnaire est toujours l'existence d'un émotion inusitée ; et cela contrairement aux rumeurs publiques habituelles, que la curiosité et la recherche du sensationnel, toujours en éveil, suffisent à développer, à propager. Pour que surgisse, au contraire, une vision qui culbute le témoignage des sens, il faut une excitation plus forte, émanant donc d'une source plus profonde.
Le prélude aux soucoupes volantes fut constitué par l'observation, durant les dernières années de la guerre , de projectiles mystérieux, aperçus au-dessus de la Suède (on attribuait leur origine et leur découverte aux Russes) et par des bruits sur les « Foo-Fighters », lueurs qui accompagnaient les bombardiers alliés au-dessus de l'Allemagne (foo = feu). Puis survinrent des récits, qui semblaient tirés d'un roman d'aventures, sur les soucoupes volantes observées aux U.S.A. L'impossibilité où l'on se trouvait d'assigner une base de départ terrestre à ces engins et de comprendre ou d'expliquer leurs caractéristiques physiques, mena rapidement à leur prêter une origine extra-terrestre. Avec cette variante, la rumeur s'apparentait à la psychologie de la grande panique qui éclata dans le New Jersey avant le début de la seconde guerre mondiale, lorsqu'une pièce radiophonique, tirée d'une nouvelle de H.G. Wells sur l'irruption de Martiens dans la ville de New-York, provoqua un véritable « stempede », une véritable panique, avec de nombreux accidents d'automobiles. Manifestement cette émission avait touché chez les auditeurs l'émotion latente que provoquait la menace de guerre imminente.
Le thème de l'invasion extra-terrestre fut repris et intégré par la rumeur et les soucoupes volantes furent conçues et expliquées comme étant des machines conduites par des être intelligents, venant de l'univers extérieur. Le comportement, apparemment sans pesanteur, de ces « avions » et leurs mouvements intelligents et dirigés furent attribués aux connaissances et aux pouvoirs techniques supérieurs des envahisseurs cosmiques. Puisque ces visiteurs ne provoquaient aucun dégât et s'abstenaient de tout acte hostile, on supposa que leur apparition dans l'atmosphère de la terre était due à la curiosité, à un désir d'observation. Il semblait d'ailleurs que les terrains d'aviation, et en particulier les centres atomiques, les attirassent tout spécialement ; on en déduisit donc que le développement dangereux de la physique atomique, en particulier la fission nucléaire, avait produit une certaine inquiétude chez les habitants des planètes voisines de la nôtre, suscitant de leur part une inspection aérienne plus précise de la terre. De la sorte, on se sentait observé et épié cosmiquement. La rumeur atteignit même la consécration officielle, puisqu'aux U.S.A. fut créé dans le département militaire un bureau spécial chargé de rassembler, d'examiner, de classer et d'apprécier les observations récoltées. Il en fut de même, semble-t-il, dans d'autres pays comme la France, l'Italie, la Suède et la Grande-Bretagne.
Selon la publication de Edward J. Ruppelt, les nouvelles sur les soucoupes semblaient disparaître peu à peu de la presse, à l'époque de cette publication, surtout depuis un an. Apparemment, ces nouvelles ne faisaient plus sensation. Mais la récente annonce, dans la presse, de la proposition d'un amiral des U.S.A. de fonder dans tout le pays des clubs chargés de rassembler et d'examiner consciencieusement les récits sur les soucoupes volantes, prouve que ni l'intérêt, ni probablement l'observation des soucoupes volantes ne sont éteints.
En général, la rumeur veut que les soucoupes volantes aient la forme d'une lentille, ou une forme oblongue, ou encore qu'elles ressemblent à un cigare, qu'elles brillent de différentes couleurs ou comme du métal et que leur allure varie entre l'arrêt complet et des vitesses pouvant atteindre 15000 km/heure ; finalement, leur accélération serait
telle qu'un être humain, éventuellement chargé de diriger pareil engin, serait anéanti. Leur trajectoire présente des angles qui ne seraient réalisables que par un objet sans pesanteur. Elle ressemble à peu près à celle d'un insecte en vol. Comme celui-ci, la soucoupe volante s'arrête de temps en temps et plus ou moins longuement au-dessus d'un objet intéressant, ou bien elle tourne lentement tout autour, comme une curiosité, pour repartir soudain à toute vitesse et redécouvrir dans son vol en zigzag d'autres objets intéressants. Ainsi, les soucoupes volantes ne sauraient être confondues avec des météorites, ni avec des phénomènes de réflexion sur des couches d'air à inversion de température. Leur prétendu intérêt pour les terrains d'aviation et les complexes industriels ayant affaire à la fission nucléaire ne se confirme pas toujours, car elles ont également été observées dans l'Antarctique, le Sahara et la région de l'Himalaya. Toutefois, elles paraissent marquer une préférence pour le États-Unis. Mais de récentes observations démontrent que l'ancien monde, ainsi que l'Extrême-Orient, sont également survolés assez souvent. On ne sait pas très bien ce qu'elles cherchent, ni ce qu'elles veulent observer. Nos avions ont l'air de les intriguer puisque très souvent elles vont à leur rencontre, ou encore les suivent. Mais elles s'enfuient à leur approche. On ne saurait prétendre qu'un plan d'un ordre quelconque préside à leurs vols. Elles se comportent plutôt comme des groupes de touristes, flânant par-ci par-là, contemplant sans idée systématique le paysage, s'arrêtant de temps en temps, erratiques, poursuivant tel but, puis tel autre, s'envolant sans raison apparente pour de très grandes hauteurs ou accomplissant des acrobaties devant le nez de pilotes irrités.
Parfois elles semblent énormes, d'un diamètre allant jusqu'à 500 mètres ; d'autres fois elles ont la dimension d'un lampadaire. On a supposé qu'il existe de grands vaisseaux-mère, desquels sortent, ou dans lesquels se réfugient, des tas de petites soucoupes volantes. Selon certains, les soucoupes sont occupées par un équipage ; selon d'autres, elles ne sont pas occupées ; dans ce dernier cas on les suppose téléguidées. La rumeur veut que les occupants, lorsqu'il y en a, ressemblent à des hommes, hauts d'environ de trois pieds (1 m), ou alors, au contraire, qu'ils ne ressemblent en rien à des hommes. D'autres comptes rendus parlent de géants de quinze pieds de haut (environ 5 m). Ce serait des êtres qui, prudemment, veulent s'orienter sur la terre et qui, plein d'égards, évitent toute rencontre avec les hommes, ou encore espionnent de façon menaçante des points d'atterrissage pour loger de force sur terre une population planétaire tombée en difficulté. L'incertitude quant aux conditions physiques sur terre, ainsi que la peur de possibilités d'infections inconnues les ont détournés jusqu'ici de rencontres immédiates – pour ne pas parler d'essais d'atterrissage – bien qu'ils soient en possession d'armes terribles qui leur permettraient d'exterminer la race humaine. Avec leur technique apparemment supérieure, on leur attribue également une sagesse et une bonté souveraines qui les rendraient capable d'assumer un rôle salvateur auprès de l'humanité. Des rumeurs circulent également – il n'y a pas lieu d'en être surpris – selon lesquelles il ne s'agit pas seulement d'atterrissage ; de petits êtres auraient été vu de tout près, et même ils auraient tenté un rapt d'homme. Un homme aussi digne de confiance que Keyhoe laisse envisager qu'une escadrille de cinq avions militaires ainsi qu'un hydravion de la marine ont été avalés dans la région de Bahamas par des soucoupes-mères et qu'ils ont été emmenés.
On raconte sur les soucoupes volantes des histoires qui sont non seulement d'une parfaite invraisemblance, mais qui semblent en outre défier les données générales de la physique ; dès lors, une réaction négative, un refus pur et simple, basés sur le bon sens critique, semblent inévitable à l'égard de ce phénomène : chacun est en droit de penser qu'il s'agit là d'illusions, de fantaisies, de mensonges ! Les personnes, se dit-on, qui rapportent de tels faits (pilotes, membres du personnel des bases aériennes) doivent être un peu détraquées ! De plus, ces récits nous viennent d'Amérique, pays des possibilités illimitées et de la science-fiction.
En accord avec cette réaction naturelle, nous considérons tout d'abord les récits sur les soucoupes volantes comme de simples on-dit, de simples rumeurs, et nous essayerons de tirer de ces manifestations psychiques toutes les déductions que nous permet notre méthode analytique.
Sans l'optique de notre scepticisme, les rapports sur les soucoupes volantes nous apparaîtront tout d'abord comme un récit qui se répète et se raconte à travers le vaste monde, mais un récit d'une espèce particulière, se distinguant des rumeurs habituelles par le fait que son expression va jusqu'à prendre la forme de visions ; peut-être même ce récit est-il créé de toutes pièces ou entretenu par des visions. J'appelle cette forme relativement rare de rumeur la rumeur visionnaire. Elle est très proche parente des visions collectives, comme par exemple celles des Croisés pendant le siège de Jérusalem, des combattants de Mons pendant le première guerre mondiale, de la foule croyante de Fatima, des troupes garde-frontière de la Suisse centrale pendant la deuxième guerre mondiale... etc. Abstraction faite de telles visions collectives, il est également des cas dans lesquels une ou plusieurs personnes voient quelque chose qui n'existe pas physiquement. Ainsi, il m'est arrivé d'assister à une séance spirite pendant laquelle quatre des cinq observateurs ont vu un petit corps en forme de lune flotter au-dessus de l'abdomen du médium et m'ont désigné, à moi cinquième observateur, l'endroit exact où le phénomène avait eu lieu. Il paraissant absolument incroyable que je n'aie rien aperçu. Je connais trois autres cas dans lesquels certains faits, avec tous les détails, ont été observés (deux fois par deux personnes et une fois par une), alors qu'il a été prouvé par la suite que ces faits étaient inexistants. Deux de ces cas se sont déroulés sous mes yeux.
« Deux témoins », dit un proverbe allemand, « suffisent à attester l'entière vérité ». Même si ce proverbe est statistiquement exact, on peut, dans certains cas, le prendre en défaut. Il peut également arriver qu'un individu, bien qu'en possession de tout son bon sens et de son entière responsabilité, perçoive des choses qui n'existent pas. Je ne saurais fournir d'explications pour des phénomènes de ce genre. Peut-être arrivent-ils même moins rarement que je me plais à le croire ; car d'habitude on ne vérifie pas ce que l'on a vu « de ses propres yeux » et on apprend donc jamais que cela n'existait pas.
Je mentionne ces possibilités un peu lointaines parce qu'il ne faut négliger aucun aspect des choses dans une affaire aussi exceptionnelle que celle des soucoupes volantes.
La condition pour que se crée une rumeur visionnaire est toujours l'existence d'un émotion inusitée ; et cela contrairement aux rumeurs publiques habituelles, que la curiosité et la recherche du sensationnel, toujours en éveil, suffisent à développer, à propager. Pour que surgisse, au contraire, une vision qui culbute le témoignage des sens, il faut une excitation plus forte, émanant donc d'une source plus profonde.
Le prélude aux soucoupes volantes fut constitué par l'observation, durant les dernières années de la guerre , de projectiles mystérieux, aperçus au-dessus de la Suède (on attribuait leur origine et leur découverte aux Russes) et par des bruits sur les « Foo-Fighters », lueurs qui accompagnaient les bombardiers alliés au-dessus de l'Allemagne (foo = feu). Puis survinrent des récits, qui semblaient tirés d'un roman d'aventures, sur les soucoupes volantes observées aux U.S.A. L'impossibilité où l'on se trouvait d'assigner une base de départ terrestre à ces engins et de comprendre ou d'expliquer leurs caractéristiques physiques, mena rapidement à leur prêter une origine extra-terrestre. Avec cette variante, la rumeur s'apparentait à la psychologie de la grande panique qui éclata dans le New Jersey avant le début de la seconde guerre mondiale, lorsqu'une pièce radiophonique, tirée d'une nouvelle de H.G. Wells sur l'irruption de Martiens dans la ville de New-York, provoqua un véritable « stempede », une véritable panique, avec de nombreux accidents d'automobiles. Manifestement cette émission avait touché chez les auditeurs l'émotion latente que provoquait la menace de guerre imminente.
Le thème de l'invasion extra-terrestre fut repris et intégré par la rumeur et les soucoupes volantes furent conçues et expliquées comme étant des machines conduites par des être intelligents, venant de l'univers extérieur. Le comportement, apparemment sans pesanteur, de ces « avions » et leurs mouvements intelligents et dirigés furent attribués aux connaissances et aux pouvoirs techniques supérieurs des envahisseurs cosmiques. Puisque ces visiteurs ne provoquaient aucun dégât et s'abstenaient de tout acte hostile, on supposa que leur apparition dans l'atmosphère de la terre était due à la curiosité, à un désir d'observation. Il semblait d'ailleurs que les terrains d'aviation, et en particulier les centres atomiques, les attirassent tout spécialement ; on en déduisit donc que le développement dangereux de la physique atomique, en particulier la fission nucléaire, avait produit une certaine inquiétude chez les habitants des planètes voisines de la nôtre, suscitant de leur part une inspection aérienne plus précise de la terre. De la sorte, on se sentait observé et épié cosmiquement. La rumeur atteignit même la consécration officielle, puisqu'aux U.S.A. fut créé dans le département militaire un bureau spécial chargé de rassembler, d'examiner, de classer et d'apprécier les observations récoltées. Il en fut de même, semble-t-il, dans d'autres pays comme la France, l'Italie, la Suède et la Grande-Bretagne.
Selon la publication de Edward J. Ruppelt, les nouvelles sur les soucoupes semblaient disparaître peu à peu de la presse, à l'époque de cette publication, surtout depuis un an. Apparemment, ces nouvelles ne faisaient plus sensation. Mais la récente annonce, dans la presse, de la proposition d'un amiral des U.S.A. de fonder dans tout le pays des clubs chargés de rassembler et d'examiner consciencieusement les récits sur les soucoupes volantes, prouve que ni l'intérêt, ni probablement l'observation des soucoupes volantes ne sont éteints.
En général, la rumeur veut que les soucoupes volantes aient la forme d'une lentille, ou une forme oblongue, ou encore qu'elles ressemblent à un cigare, qu'elles brillent de différentes couleurs ou comme du métal et que leur allure varie entre l'arrêt complet et des vitesses pouvant atteindre 15000 km/heure ; finalement, leur accélération serait
telle qu'un être humain, éventuellement chargé de diriger pareil engin, serait anéanti. Leur trajectoire présente des angles qui ne seraient réalisables que par un objet sans pesanteur. Elle ressemble à peu près à celle d'un insecte en vol. Comme celui-ci, la soucoupe volante s'arrête de temps en temps et plus ou moins longuement au-dessus d'un objet intéressant, ou bien elle tourne lentement tout autour, comme une curiosité, pour repartir soudain à toute vitesse et redécouvrir dans son vol en zigzag d'autres objets intéressants. Ainsi, les soucoupes volantes ne sauraient être confondues avec des météorites, ni avec des phénomènes de réflexion sur des couches d'air à inversion de température. Leur prétendu intérêt pour les terrains d'aviation et les complexes industriels ayant affaire à la fission nucléaire ne se confirme pas toujours, car elles ont également été observées dans l'Antarctique, le Sahara et la région de l'Himalaya. Toutefois, elles paraissent marquer une préférence pour le États-Unis. Mais de récentes observations démontrent que l'ancien monde, ainsi que l'Extrême-Orient, sont également survolés assez souvent. On ne sait pas très bien ce qu'elles cherchent, ni ce qu'elles veulent observer. Nos avions ont l'air de les intriguer puisque très souvent elles vont à leur rencontre, ou encore les suivent. Mais elles s'enfuient à leur approche. On ne saurait prétendre qu'un plan d'un ordre quelconque préside à leurs vols. Elles se comportent plutôt comme des groupes de touristes, flânant par-ci par-là, contemplant sans idée systématique le paysage, s'arrêtant de temps en temps, erratiques, poursuivant tel but, puis tel autre, s'envolant sans raison apparente pour de très grandes hauteurs ou accomplissant des acrobaties devant le nez de pilotes irrités.
Parfois elles semblent énormes, d'un diamètre allant jusqu'à 500 mètres ; d'autres fois elles ont la dimension d'un lampadaire. On a supposé qu'il existe de grands vaisseaux-mère, desquels sortent, ou dans lesquels se réfugient, des tas de petites soucoupes volantes. Selon certains, les soucoupes sont occupées par un équipage ; selon d'autres, elles ne sont pas occupées ; dans ce dernier cas on les suppose téléguidées. La rumeur veut que les occupants, lorsqu'il y en a, ressemblent à des hommes, hauts d'environ de trois pieds (1 m), ou alors, au contraire, qu'ils ne ressemblent en rien à des hommes. D'autres comptes rendus parlent de géants de quinze pieds de haut (environ 5 m). Ce serait des êtres qui, prudemment, veulent s'orienter sur la terre et qui, plein d'égards, évitent toute rencontre avec les hommes, ou encore espionnent de façon menaçante des points d'atterrissage pour loger de force sur terre une population planétaire tombée en difficulté. L'incertitude quant aux conditions physiques sur terre, ainsi que la peur de possibilités d'infections inconnues les ont détournés jusqu'ici de rencontres immédiates – pour ne pas parler d'essais d'atterrissage – bien qu'ils soient en possession d'armes terribles qui leur permettraient d'exterminer la race humaine. Avec leur technique apparemment supérieure, on leur attribue également une sagesse et une bonté souveraines qui les rendraient capable d'assumer un rôle salvateur auprès de l'humanité. Des rumeurs circulent également – il n'y a pas lieu d'en être surpris – selon lesquelles il ne s'agit pas seulement d'atterrissage ; de petits êtres auraient été vu de tout près, et même ils auraient tenté un rapt d'homme. Un homme aussi digne de confiance que Keyhoe laisse envisager qu'une escadrille de cinq avions militaires ainsi qu'un hydravion de la marine ont été avalés dans la région de Bahamas par des soucoupes-mères et qu'ils ont été emmenés.
- InvitéInvité
Re: (1961) Un mythe moderne, Carl G. Jung - Editions Gallimard, collection Folio/Essai
Mer 27 Oct 2010, 07:43
Les cheveux se dressent sur la tête quand on prend connaissance de tels récits, accompagnés de leurs références documentaires. En considérant, en outre, la possibilité généralement reconnue de déceler les soucoupes volantes au radar, il faut avouer que de tout cela surgit une « science fiction story » de la plus belle eau. Mais tout ce qu'il est convenu d'appeler bon sens dans l'homme se sent fortement choqué. Pour être bref, je ne mentionnerai pas ici les différentes possibilités d'explication dont les rumeurs peuvent relever.
Pendant que j'étais occupé à écrire le présent travail, le hasard voulut que deux des plus importants journaux américains publient, environ à la même date, des articles décrivant clairement l'état actuel du problème. L'un était un compte rendu de la dernière observation d'une soucoupe volante par le pilote d'un avion volant, avec quarante-quatre passagers à bord, vers Puerto Rico. Se trouvant au-dessus de l'océan, il vit un « objet de feu, rond, brillant d'un éclat verdâtre-blanchâtre », qui s'approchait de la droite à une vitesse énorme. Il le prit d'abord pour un avion à réaction, mais il s'aperçut bientôt que c'était un objet extraordinaire et inconnu. Afin d'éviter une collision, il prit énergiquement de la hauteur ; il le fit avec une telle brusquerie que les passagers tombèrent les uns sur les autres. Quatre passagers furent blessés et durent être hospitalisés. Sept autres avions se trouvant dans la même zones, dans un rayon d'environ 500 kilomètres, observèrent la même apparition.
L'autre article, paru sous le titre : « Il n'y a pas de soucoupe volante, selon l'expert américain », rapporte les affirmations catégoriques du Dr Hugh L. Dryden, Directeur du National Advisory Committee for Aeronautics, sur la non-existence des soucoupes volantes. On ne peut faire autrement qu'approuver le scepticisme inébranlable de Dryden : ne donne-t-il pas une confirmation solide au sentiment que cette monstrueuse rumeur constitue un crime de lèse-majesté humaine ?
En fermant un peu les yeux pour éliminer quelques détails, nous sommes capables, nous joignant au jugement raisonnable de la majorité, dont Dryden est le porte-parole, de considérer les milliers de rapports sur les soucoupes volantes, avec tous leur fatras, comme une rumeur visionnaire et de les traiter en conséquence. Ce qui subsisterait d'objectif là-dedans serait une masse – impressionnante, il faut le dire – d'observations et de conclusions erronées, dans lesquelles des présuppositions psychiques subjectives ont été projetées.
Mais s'il s'agit de projection psychologique, il doit y avoir, pour que celle-ci survienne, une cause psychique. Car, en présence d'une expression aussi universelle, il faut s'arrêter et méditer : il serait certainement faux de ne voir dans la légende des soucoupes volantes qu'un incident dû au seul hasard et dépourvu de toute importance ; les milliers de témoignages individuels doivent être sous-tendus par un dénominateur commun. Si semblables récits se retrouvent presque en tous lieux, il faut bien supposer que partout doit exister une motivation correspondante. Les rumeurs visionnaires peuvent, certes, êtres provoquées ou accompagnées par des circonstances extérieures d'un ordre quelconque ; mais leur existence, pour l'essentiel, est engendrée par une matrice émotionnelle partout présente, et, dans le cas qui nous occupe, par une constellation psychologique universellement répandue. L'origine d'une telle rumeur est une tension affective issue d'une situation de détresse collective, qui peut être soit un danger collectif, soit une nécessité vitale de l'âme. Cette condition est aujourd'hui indubitablement réalisée, le monde entier souffrant de la tension politique internationale et craignant ses conséquences encore imprévisibles. Des manifestations telles que convictions anormales, visions, illusions..., n'apparaissent chez un individu que s'il est psychiquement dissocié, c'est à dire s'il existe en lui une discontinuité, une rupture, un ravin entre son comportement conscient et les contenus compensateurs de son inconscient. Comme le conscient ne connaît justement pas ces derniers contenus et se trouve ainsi confronté avec une situation apparemment sans issue, les dits contenus inconscients, qui lui sont étrangers, ne peuvent être intégrés directement par lui. Dès lors, ils chercheront à se manifester indirectement en provoquant des opinions, des convictions, des illusions et des visions, qui apparaîtront comme inattendues et tout d'abord inexplicables : des évènements naturels inusités, par exemple des météores, des comètes, des pluies de sang, un veau à deux têtes et autres nouveau-nés difformes seront interprétés comme signes précurseurs d'évènements menaçants, ou encore le sujet discernera des « signes dans le ciel ». Dans cette perspectives des motivations psychiques , il faut souligner qu'il est même possible que plusieurs personnes observent en même temps quelque chose qui n'a pas de réalité physique. Cela est dû au fait que les associations d'idées se développent , chez beaucoup d'individus, selon un tel parallélisme de temps et de lieu que des sujets totalement indépendants les uns des autres peuvent avoir la même pensée au même moment, comme l'histoire de l'esprit humain nous le montre à satiété. À ceci s'ajoutent tous les cas où une même cause collective intervenant suscite chez des personnes diverses les même effets psychiques, ou tout au moins des effets analogues, c'est à dire que les même interprétations ou les mêmes images visionnaires surviennent chez des individus qui sont justement les moins préparés à de telles apparitions, ou qui sont les moins portés à y croire. C'est d'ailleurs cette circonstance qui confère de la vraisemblance aux récits des témoins oculaires : on a l'habitude d'insister sur le fait que tel ou tel témoin est très peu suspect de complaisance, puisqu'il ne s'est jamais signalé par une imagination excessive ou une crédulité abusive, mais qu'au contraire il est doué d'un jugement rassis et d'esprit critique. Or, c'est justement dans pareils cas que l'inconscient doit avoir recours à des procédés particulièrement énergiques pour rendre sensibles ses contenus. Ceux-ci se font jour de la façon la plus impressionnante grâce à la projection, phénomène psychologique par lequel il faut entendre le transfert sur un objet, dans lequel ils apparaissent, de contenus qui étaient auparavant un secret de l'inconscient. Le phénomène de la projection peut s'observer partout, par exemple au cours des maladies mentales, dans les idées de persécutions, dans les hallucinations, mais aussi chez les personnes soit-disant normales, qui voient la paille dans l'œil du voisin et non la poutre dans le leur ; le phénomène se rencontre finalement, à son degrés le plus haut, dans la propagande politique. Les projections ont une portée différente selon qu'elles proviennent de conditions personnelles intimes ou de conditionnements collectifs. Les inconsciences et les refoulements personnels se manifestent dans l'entourage le plus proche, dans le cercle de la famille et des amis. Les contenus de l'inconscient collectif, par contre, comme par exemple les conflits religieux, philosophiques ou politico-sociaux, choisissent pour se projeter, des réceptacles correspondants, par exemple les francs-maçons, les jésuites, les juifs, les capitalistes, les bolchéviques, les impérialistes..., etc. La situation du monde actuel, où l'on commence à sentir et à comprendre que tout pourrait être mis en cause, est tellement pleine de dangers que l'imagination inconsciente, créatrice de projections, se porte, au-delà des organisations et des puissances terrestres, jusqu'au ciel, c'est à dire jusqu'à l'espace cosmique, où autrefois les maîtres du destin, les dieux, avaient leur siège parmi les planètes. Notre monde terrestre est divisé en deux moitiés, et l'on ne voit pas d'où pourrait venir une aide ou une décision améliorant cet état de choses. Même des personnes qui, il y a trente ans, n'auraient jamais pensé qu'un problème religieux pourrait être une affaire sérieuse les touchant personnellement, commencent à se poser maintenant des questions de principe. Dans ces conditions, il ne serait nullement miraculeux que les couches de la population qui ne s'inquiétaient pas jusqu'ici se voient maintenant assaillies par des « apparition », c'est à dire touchées par un mythe partout présent, cru fermement par les uns et rejeté comme ridicule par les autres. Et ainsi des témoins oculaires manifestement sérieux et honnêtes en viendront à l'occasion à attester les « signes du ciel » qu'ils auraient vus, « de leur propre yeux vus », et témoigneront d'évènement miraculeux qu'ils auraient vécus et qui dépassent de loin la compréhension humaine.
Comment s'étonner que ces récits suscitent un impétueux besoin d'explication ? Les premiers essais d'explication considérèrent les soucoupes volantes comme des inventions russes ou américaines ; ces explications furent rapidement vouées à l'échec à cause du comportement sans pesanteur des engins observés, vertu inconnue des habitants de la terre. L'imagination humaine, qui joue déjà avec la possibilité de voyages interplanétaires, n'hésita donc pas à supposer que des êtres intelligents, d'une espèce supérieure, avaient appris à échapper aux lois de la gravitation et à se servir par exemple des champs magnétiques interstellaires comme source d'énergie, pour atteindre des vitesses cosmiques. Les récentes explosions atomiques réalisées sur la terre, suppose-t-on, auraient attiré l'attention des habitants de Mars ou de Vénus, qui seraient beaucoup plus avancés que nous, provoquant chez eux des inquiétudes quant à la possibilité d'une réaction en chaîne suivie de la destruction de la Terre. Comme une telle possibilité constituerait une menace catastrophique pour les planètes voisines également, les habitants de ces dernières seraient obligés de suivre de très près les développements terrestres, étant pleinement conscient de l'immense danger que pourraient créer, pour eux aussi, nos maladroits essais nucléaires. Le fait que les soucoupes volantes n'atterrissent pas et qu'elles n'aient jamais manifesté la moindre tendance à se mettre en rapport avec les hommes est expliqué de la façon suivante : ces êtres ne sont, malgré l'état supérieur de leurs connaissances, nullement certains d'être accueillis avec bienveillance sur terre, et c'est pourquoi il évitent prudemment tout échange avec les hommes. D'autre part, étant des êtres supérieurs, ils ont un comportement absolument inoffensif, ne font pas de mal sur terre et se contentent d'une inspection objective des terrains d'aviation et des usines nucléaires.
Cet aspect des choses reste cependant inexplicable ; pourquoi, depuis dix ans, ces êtres supérieurs qui s'intéressent aussi passionnément au destin de la terre n'ont-ils pas encore réussi, malgré leur connaissances linguistiques, à établir un contact avec nous ? C'est pour cette raison que l'on fait d'autres suppositions, comme, par exemple, celle d'une planète tombée en difficulté, peut-être par assèchement, par perte d'oxygène ou par surpeuplement, et dont les habitants chercheraient un « pied-à-terre ». Leurs patrouilles de reconnaissance se mettent à l'œuvre avec la plus grande prudence et la plus grande circonspection, malgré leur apparition dans notre ciel depuis des siècles, sinon depuis des millénaires. Depuis la deuxième guerre mondiale elles se manifestent de plus en plus, car un atterrissage prochain serait envisagé. À la suite de certaines expériences, leur bienveillance inoffensive est depuis peu contestée.
Il existe également des récits de soit-disant témoins oculaires qui prétendent avoir vu des atterrissages de soucoupes volantes avec leurs passagers, parlant naturellement l'anglais. Ces passagers interplanétaires sont ou des figures idéalisées, sorte d'anges rationnels qui s'inquiètent de notre destin, ou des nains avec de grosses têtes contenant un excédent d'intelligence, ou encore des monstres nains, lémuriens, couverts de poils et munis de griffes ainsi que d'une carapace ressemblant à celle des insectes. Un « témoin », comme M. Adamsky, prétend même avoir volé dans une soucoupe volante avec laquelle il aurait fait le tour de la lune en quelques heures. Il nous en rapporte la nouvelle étonnante que la face invisible de la lune aurait une atmosphère, de l'eau, des forêts et des agglomérations, sans être le moins du monde étonné que la lune ait cette étrange humeur de toujours nous présenter sa face la moins agréable. Cette monstruosité physique est même acceptée par des gens aussi cultivés et aussi rassis que Edgar Sievers.
Les Américains photographient et filment à qui mieux mieux et avec un plaisir évident. Aussi est-il étonnant de voir qu'il n'existe presque pas de photos « authentiques » de soucoupes volantes, bien que celles-ci aient été soi-disant observées de relativement près et pendant des heures. J'ai connu par hasard une personne qui, au Guatemala, en compagnie de centaines d'autres, aurait vu une soucoupe volante. Munie d'un appareil photographique, dans l'excitation, elle oublia tout simplement de s'en servir ; il faisait jour et la soucoupe volante resta visible pendant plus d'une heure. Je n'ai aucune raison de douter de l'honnêteté du récit de ce correspondant. Mais il confirme mon impression que les soucoupes volantes ne semblent pas spécialement « photogéniques » !
Pendant que j'étais occupé à écrire le présent travail, le hasard voulut que deux des plus importants journaux américains publient, environ à la même date, des articles décrivant clairement l'état actuel du problème. L'un était un compte rendu de la dernière observation d'une soucoupe volante par le pilote d'un avion volant, avec quarante-quatre passagers à bord, vers Puerto Rico. Se trouvant au-dessus de l'océan, il vit un « objet de feu, rond, brillant d'un éclat verdâtre-blanchâtre », qui s'approchait de la droite à une vitesse énorme. Il le prit d'abord pour un avion à réaction, mais il s'aperçut bientôt que c'était un objet extraordinaire et inconnu. Afin d'éviter une collision, il prit énergiquement de la hauteur ; il le fit avec une telle brusquerie que les passagers tombèrent les uns sur les autres. Quatre passagers furent blessés et durent être hospitalisés. Sept autres avions se trouvant dans la même zones, dans un rayon d'environ 500 kilomètres, observèrent la même apparition.
L'autre article, paru sous le titre : « Il n'y a pas de soucoupe volante, selon l'expert américain », rapporte les affirmations catégoriques du Dr Hugh L. Dryden, Directeur du National Advisory Committee for Aeronautics, sur la non-existence des soucoupes volantes. On ne peut faire autrement qu'approuver le scepticisme inébranlable de Dryden : ne donne-t-il pas une confirmation solide au sentiment que cette monstrueuse rumeur constitue un crime de lèse-majesté humaine ?
En fermant un peu les yeux pour éliminer quelques détails, nous sommes capables, nous joignant au jugement raisonnable de la majorité, dont Dryden est le porte-parole, de considérer les milliers de rapports sur les soucoupes volantes, avec tous leur fatras, comme une rumeur visionnaire et de les traiter en conséquence. Ce qui subsisterait d'objectif là-dedans serait une masse – impressionnante, il faut le dire – d'observations et de conclusions erronées, dans lesquelles des présuppositions psychiques subjectives ont été projetées.
Mais s'il s'agit de projection psychologique, il doit y avoir, pour que celle-ci survienne, une cause psychique. Car, en présence d'une expression aussi universelle, il faut s'arrêter et méditer : il serait certainement faux de ne voir dans la légende des soucoupes volantes qu'un incident dû au seul hasard et dépourvu de toute importance ; les milliers de témoignages individuels doivent être sous-tendus par un dénominateur commun. Si semblables récits se retrouvent presque en tous lieux, il faut bien supposer que partout doit exister une motivation correspondante. Les rumeurs visionnaires peuvent, certes, êtres provoquées ou accompagnées par des circonstances extérieures d'un ordre quelconque ; mais leur existence, pour l'essentiel, est engendrée par une matrice émotionnelle partout présente, et, dans le cas qui nous occupe, par une constellation psychologique universellement répandue. L'origine d'une telle rumeur est une tension affective issue d'une situation de détresse collective, qui peut être soit un danger collectif, soit une nécessité vitale de l'âme. Cette condition est aujourd'hui indubitablement réalisée, le monde entier souffrant de la tension politique internationale et craignant ses conséquences encore imprévisibles. Des manifestations telles que convictions anormales, visions, illusions..., n'apparaissent chez un individu que s'il est psychiquement dissocié, c'est à dire s'il existe en lui une discontinuité, une rupture, un ravin entre son comportement conscient et les contenus compensateurs de son inconscient. Comme le conscient ne connaît justement pas ces derniers contenus et se trouve ainsi confronté avec une situation apparemment sans issue, les dits contenus inconscients, qui lui sont étrangers, ne peuvent être intégrés directement par lui. Dès lors, ils chercheront à se manifester indirectement en provoquant des opinions, des convictions, des illusions et des visions, qui apparaîtront comme inattendues et tout d'abord inexplicables : des évènements naturels inusités, par exemple des météores, des comètes, des pluies de sang, un veau à deux têtes et autres nouveau-nés difformes seront interprétés comme signes précurseurs d'évènements menaçants, ou encore le sujet discernera des « signes dans le ciel ». Dans cette perspectives des motivations psychiques , il faut souligner qu'il est même possible que plusieurs personnes observent en même temps quelque chose qui n'a pas de réalité physique. Cela est dû au fait que les associations d'idées se développent , chez beaucoup d'individus, selon un tel parallélisme de temps et de lieu que des sujets totalement indépendants les uns des autres peuvent avoir la même pensée au même moment, comme l'histoire de l'esprit humain nous le montre à satiété. À ceci s'ajoutent tous les cas où une même cause collective intervenant suscite chez des personnes diverses les même effets psychiques, ou tout au moins des effets analogues, c'est à dire que les même interprétations ou les mêmes images visionnaires surviennent chez des individus qui sont justement les moins préparés à de telles apparitions, ou qui sont les moins portés à y croire. C'est d'ailleurs cette circonstance qui confère de la vraisemblance aux récits des témoins oculaires : on a l'habitude d'insister sur le fait que tel ou tel témoin est très peu suspect de complaisance, puisqu'il ne s'est jamais signalé par une imagination excessive ou une crédulité abusive, mais qu'au contraire il est doué d'un jugement rassis et d'esprit critique. Or, c'est justement dans pareils cas que l'inconscient doit avoir recours à des procédés particulièrement énergiques pour rendre sensibles ses contenus. Ceux-ci se font jour de la façon la plus impressionnante grâce à la projection, phénomène psychologique par lequel il faut entendre le transfert sur un objet, dans lequel ils apparaissent, de contenus qui étaient auparavant un secret de l'inconscient. Le phénomène de la projection peut s'observer partout, par exemple au cours des maladies mentales, dans les idées de persécutions, dans les hallucinations, mais aussi chez les personnes soit-disant normales, qui voient la paille dans l'œil du voisin et non la poutre dans le leur ; le phénomène se rencontre finalement, à son degrés le plus haut, dans la propagande politique. Les projections ont une portée différente selon qu'elles proviennent de conditions personnelles intimes ou de conditionnements collectifs. Les inconsciences et les refoulements personnels se manifestent dans l'entourage le plus proche, dans le cercle de la famille et des amis. Les contenus de l'inconscient collectif, par contre, comme par exemple les conflits religieux, philosophiques ou politico-sociaux, choisissent pour se projeter, des réceptacles correspondants, par exemple les francs-maçons, les jésuites, les juifs, les capitalistes, les bolchéviques, les impérialistes..., etc. La situation du monde actuel, où l'on commence à sentir et à comprendre que tout pourrait être mis en cause, est tellement pleine de dangers que l'imagination inconsciente, créatrice de projections, se porte, au-delà des organisations et des puissances terrestres, jusqu'au ciel, c'est à dire jusqu'à l'espace cosmique, où autrefois les maîtres du destin, les dieux, avaient leur siège parmi les planètes. Notre monde terrestre est divisé en deux moitiés, et l'on ne voit pas d'où pourrait venir une aide ou une décision améliorant cet état de choses. Même des personnes qui, il y a trente ans, n'auraient jamais pensé qu'un problème religieux pourrait être une affaire sérieuse les touchant personnellement, commencent à se poser maintenant des questions de principe. Dans ces conditions, il ne serait nullement miraculeux que les couches de la population qui ne s'inquiétaient pas jusqu'ici se voient maintenant assaillies par des « apparition », c'est à dire touchées par un mythe partout présent, cru fermement par les uns et rejeté comme ridicule par les autres. Et ainsi des témoins oculaires manifestement sérieux et honnêtes en viendront à l'occasion à attester les « signes du ciel » qu'ils auraient vus, « de leur propre yeux vus », et témoigneront d'évènement miraculeux qu'ils auraient vécus et qui dépassent de loin la compréhension humaine.
Comment s'étonner que ces récits suscitent un impétueux besoin d'explication ? Les premiers essais d'explication considérèrent les soucoupes volantes comme des inventions russes ou américaines ; ces explications furent rapidement vouées à l'échec à cause du comportement sans pesanteur des engins observés, vertu inconnue des habitants de la terre. L'imagination humaine, qui joue déjà avec la possibilité de voyages interplanétaires, n'hésita donc pas à supposer que des êtres intelligents, d'une espèce supérieure, avaient appris à échapper aux lois de la gravitation et à se servir par exemple des champs magnétiques interstellaires comme source d'énergie, pour atteindre des vitesses cosmiques. Les récentes explosions atomiques réalisées sur la terre, suppose-t-on, auraient attiré l'attention des habitants de Mars ou de Vénus, qui seraient beaucoup plus avancés que nous, provoquant chez eux des inquiétudes quant à la possibilité d'une réaction en chaîne suivie de la destruction de la Terre. Comme une telle possibilité constituerait une menace catastrophique pour les planètes voisines également, les habitants de ces dernières seraient obligés de suivre de très près les développements terrestres, étant pleinement conscient de l'immense danger que pourraient créer, pour eux aussi, nos maladroits essais nucléaires. Le fait que les soucoupes volantes n'atterrissent pas et qu'elles n'aient jamais manifesté la moindre tendance à se mettre en rapport avec les hommes est expliqué de la façon suivante : ces êtres ne sont, malgré l'état supérieur de leurs connaissances, nullement certains d'être accueillis avec bienveillance sur terre, et c'est pourquoi il évitent prudemment tout échange avec les hommes. D'autre part, étant des êtres supérieurs, ils ont un comportement absolument inoffensif, ne font pas de mal sur terre et se contentent d'une inspection objective des terrains d'aviation et des usines nucléaires.
Cet aspect des choses reste cependant inexplicable ; pourquoi, depuis dix ans, ces êtres supérieurs qui s'intéressent aussi passionnément au destin de la terre n'ont-ils pas encore réussi, malgré leur connaissances linguistiques, à établir un contact avec nous ? C'est pour cette raison que l'on fait d'autres suppositions, comme, par exemple, celle d'une planète tombée en difficulté, peut-être par assèchement, par perte d'oxygène ou par surpeuplement, et dont les habitants chercheraient un « pied-à-terre ». Leurs patrouilles de reconnaissance se mettent à l'œuvre avec la plus grande prudence et la plus grande circonspection, malgré leur apparition dans notre ciel depuis des siècles, sinon depuis des millénaires. Depuis la deuxième guerre mondiale elles se manifestent de plus en plus, car un atterrissage prochain serait envisagé. À la suite de certaines expériences, leur bienveillance inoffensive est depuis peu contestée.
Il existe également des récits de soit-disant témoins oculaires qui prétendent avoir vu des atterrissages de soucoupes volantes avec leurs passagers, parlant naturellement l'anglais. Ces passagers interplanétaires sont ou des figures idéalisées, sorte d'anges rationnels qui s'inquiètent de notre destin, ou des nains avec de grosses têtes contenant un excédent d'intelligence, ou encore des monstres nains, lémuriens, couverts de poils et munis de griffes ainsi que d'une carapace ressemblant à celle des insectes. Un « témoin », comme M. Adamsky, prétend même avoir volé dans une soucoupe volante avec laquelle il aurait fait le tour de la lune en quelques heures. Il nous en rapporte la nouvelle étonnante que la face invisible de la lune aurait une atmosphère, de l'eau, des forêts et des agglomérations, sans être le moins du monde étonné que la lune ait cette étrange humeur de toujours nous présenter sa face la moins agréable. Cette monstruosité physique est même acceptée par des gens aussi cultivés et aussi rassis que Edgar Sievers.
Les Américains photographient et filment à qui mieux mieux et avec un plaisir évident. Aussi est-il étonnant de voir qu'il n'existe presque pas de photos « authentiques » de soucoupes volantes, bien que celles-ci aient été soi-disant observées de relativement près et pendant des heures. J'ai connu par hasard une personne qui, au Guatemala, en compagnie de centaines d'autres, aurait vu une soucoupe volante. Munie d'un appareil photographique, dans l'excitation, elle oublia tout simplement de s'en servir ; il faisait jour et la soucoupe volante resta visible pendant plus d'une heure. Je n'ai aucune raison de douter de l'honnêteté du récit de ce correspondant. Mais il confirme mon impression que les soucoupes volantes ne semblent pas spécialement « photogéniques » !
- InvitéInvité
Re: (1961) Un mythe moderne, Carl G. Jung - Editions Gallimard, collection Folio/Essai
Mer 27 Oct 2010, 07:47
Comme on peut le voir par ce qui précède, l'observation et l'explication des soucoupes volantes ont déjà donné lieu à l'édification d'une véritable légende. Sans parler des milliers d'articles de journaux, nous disposons aujourd'hui d'une bibliothèque sur ce sujet, certains ouvrages étant pour, d'autres contre, les uns n'étant qu'un tissu de mensonges, d'autres étant en partie sérieux. Comme le montrent les plus récentes observations, le phénomène lui-même ne semble pas en être impressionné. Pour l'instant, il paraît continuer, comme par le passé. Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : un mythe vivant s'est constitué. Nous avons ici l'occasion de voir naître sous nos yeux une légende et d'observer comment, dans une époque difficile et sombre de l'humanité, se crée une histoire miraculeuse, celle d'un essai d'intervention – ou du moins de rapprochement – de puissances extra-terrestres, de puissances « célestes » ; et cela à un moment où l'imagination humaine se met à envisager on ne peut plus sérieusement la possibilité de voyages interplanétaires, la visite ou même l'invasion d'autres astres. Tandis que nous, hommes, songeons sérieusement à aller vers la Lune ou vers Mars, les habitants des autres planètes de notre système, ou même de la sphère des astres fixes, voudraient, selon le mythe, venir nous voir. Nos aspirations à pénétrer l'univers nous sont conscientes ; mais la tendance extra-terrestre correspondante que nous prêtons aux habitants d'autres planètes est une conjecture mythologique, c'est à dire une projection. L'appétit de sensation, le désir de l'aventure, l'ivresse des performances techniques et la curiosité intellectuelle sont apparemment des motifs suffisants pour fouetter notre imagination anticipante. Mais l'expérience a montré que de telles impulsions de l'imagination se basent, comme c'est presque toujours le cas – surtout si elles apparaissent sous une forme aussi sérieuse, et je rappelle les satellites artificiels – sur une cause plus profonde et plus reculée, à savoir sur une situation de détresse vitale et sur les besoins qu'elle fait naître. Ces constatations psychologiques, cette projection sur un autrui cosmique du thème du malaise planétaire ne nous conduisent-elles pas à nous demander si notre humanité ne se sentirait pas trop à l'étroit sur la terre et ne voudrait pas s'évader de ce qu'elle considère comme une prison où elle est menacée non seulement par la bombe à hydrogène, mais plus encore par l'accroissement en avalanche du chiffre de la population ? Ce dernier problème est un de ceux dont on n'aime pas discuter ; ou alors on se borne à indiquer avec optimisme les possibilités inestimables d'une production intensive de nourriture, comme si c'était là autre chose que différer la solution définitive ! Avec beaucoup de perspicacité, le gouvernement indien a prévu 500 000 livres pour la restriction des naissances et la Russie se sert du système des camps de travail pour stériliser et réduire les si redoutables excédents de naissances. Les pays occidentaux, hautement civilisés, s'aident d'une autre manière ; toutefois le danger immédiat ne provient pas d'eux mais principalement des populations sous-développées d'Asie et d'Afrique. Ce n'est pas ici le lieux d'examiner de plus prés la question de savoir dans quelle mesure les deux guerres mondiales auraient déjà été une conséquence du problème angoissant d'une réduction « à tout prix » de la population. La nature sait utiliser bien des voies différentes pour se débarrasser de l'excédent de ses créations... En fait, l'espace vital et habitable de l'humanité se réduit de plus en plus et, pour bon nombre de peuples, l'optimum a été dépassé depuis longtemps. Le danger de catastrophes augmente proportionnellement à la densité des populations en croissance. La compression provoque une angoisse, qui cherche un soulagement dans les sphère extra-terrestres, puisque la terre devient hostile.
C'est pour cela qu'apparaissent des « signes du ciel » ; et, pour reprendre les images nées du potentiel fabulateur de notre savoir technique, ils apparaissent, dans le cas d'espèce, sous la forme d'être supérieurs, voyageant dans une sorte de véhicule cosmique. C'est d'une angoisse dont la cause n'est pas entièrement comprise, et qui par conséquent n'est pas consciente, que procèdent nos projections explicatives. Celles-ci croient, dès lors, trouver la source de notre étouffante oppression dans n'importe quel faux-fuyant, fût-il totalement insuffisant, pourvu qu'il possède la moindre trace de vraisemblance. Quelques-uns de ces trompe-l'œil sont aujourd'hui tellement démasqués qu'il paraît presque superflu de s'y attarder davantage.
Mais s'il on veut comprendre un rumeur collective qui, à ce qu'il paraît, s'accompagne même de visions collectives, on ne doit pas se satisfaire de motifs trop rationnels, superficiellement clairs et compréhensibles. La dynamique causale d'une telle rumeur, qu'il s'agit de découvrir, devra certainement toucher aux racines mêmes de notre existence si elle prétend expliquer un phénomène aussi extraordinaire que celui des soucoupes volantes. Elles furent déjà observées dans les siècles passés, mais elles constituaient alors simplement des curiosités rares et ne provoquaient que des rumeurs régionales. Ce devait être un privilège réservé à notre époque éclairée et rationaliste que d'élaborer au sujet de ces apparitions une rumeur collective et universelle. Les prédictions et le fantasme relatifs à la fin du monde, si importants et si répandus à la fin du premier millénaire chrétien, n'avaient qu'un fondement métaphysique et n'exigeaient pas la mobilisation de soucoupes volantes pour paraître rationnellement fondés. L'intervention du ciel correspondait à la philosophie, à la conception du monde d'alors. Mais notre opinion publique n'est certainement pas encline à avoir recours à l'hypothèse d'un acte métaphysique ; dans le cas contraire, nombre de curés et de pasteurs auraient déjà prêchés sur les signes avertisseurs du ciel. Notre philosophie n'a que faire du recours à la métaphysique. Nous serions plutôt disposés à penser à la possibilité de troubles psychiques, surtout du fait que notre constitution psychique, en particulier depuis la dernière guerre mondiale, est devenue quelque peu sujette à caution ; elle souffre de l'incertitude, de l'insécurité et de l'inquiétude au milieu desquelles nous vivons. Dans son effort pour apprécier et expliquer les évènements et les calamités subis par l'Europe dans les dernières décennies, l'histoire contemporaine sent la caducité et l'impuissance des moyens traditionnels. De plus en plus elle doit reconnaître que des facteurs psychologiques et psychopathologiques commencent à élargir considérablement son horizon. De là l'intérêt accru du public pensant pour la psychologie. Cette recrudescence d'intérêt, bien que logique, a certes déjà provoqué la mauvaise humeur des milieux universitaires rétrogrades et de spécialistes surpris par pareille nouveauté. Mais, malgré ces réticences, une psychologie consciente de ses responsabilité ne doit pas se laisser décourager, ni se laisser détourner de l'examen critique des apparitions collectives ; cela semble doublement nécessaire car, étant donné la monstruosité apparente des affirmations qui accompagnent ces apparitions, l'hypothèse de troubles psychiques semble la première qui s'impose au bon sens pour expliquer pareilles rumeurs.
En accord avec notre programme, nous allons nous pencher sur la nature psychique du phénomène. Résumons une dernière fois le thème central de la rumeur : pendant le jour et pendant la nuit on observe dans notre atmosphère des objets qui ne peuvent se comparer à aucune apparition météorique connue. Ce ne sont ni des météores, ni des étoiles fixes, ni des réflexions sur des couches d'air à inversion de température, ni des configurations de nuages ; ce ne sont pas des oiseaux migrateurs, ni des ballons, ni de la foudre globulaire et – last but not least – ce ne sont pas des délires d'ivresse ou de fièvre, ni le fruit de vulgaires mensonges. Ce qu'on observe en général ce sont des corps apparemment lumineux ou rayonnants, de couleurs variables, ayant la forme ronde d'un disque ou d'une boule, plus rarement celle d'un cigare ou d'un cylindre, de tailles diverses.
On raconte que ces corps seraient parfois invisibles à l'œil humains, mais que par contre ils laisseraient une tache sur l'écran du radar.
Or, en psychologie, l'apparition de corps ronds ne nous surprend pas. En effet, les corps ronds sont des formations fréquemment produites par l'inconscient dans les rêves, visions..., etc. Dans ce cas, ils doivent être considérés comme des symboles, exprimant d'une façon imagée une idée qui n'a pas été pensée consciemment, mais qui existait seulement à l'état potentiel, c'est à dire sous forme non définie et virtuelle, dans l'inconscient et que seul le processus de la prise de conscience rendra accessible à l'entendement. Une telle forme imagée n'exprime cependant qu'approximativement son contenu, lequel, en soi et jusqu'alors, était totalement inconscient. Dans la pratique, le contenu ainsi esquissé doit être complété par des interprétations complémentaires. Des erreurs se produisent inévitablement dans cette opération, et elles ne peuvent être éliminées que grâce au principe « eventus docet » (c'est l'évènement qui enseigne) ; autrement dit, c'est la comparaison de longues séries de rêves chez différents individus qui nous donnera un texte lisible d'un bout à l'autre. Il convient que les expressions imagées de notre rumeur publique soient soumises, elles aussi, aux règles de l'interprétation des rêves. En appliquant ces règles à l'objet rond observé, disque ou boule, quiconque connaît la psychologie des profondeurs reconnaîtra tout de suite l'analogie avec le symbole de la totalité : le mandala. Celui-ci n'est nullement une invention récente ; il a existé au contraire de tous temps, pour ainsi dire ubiquitairement, et a toujours été porteur de la même signification. Il se crée de nouveau, sans tradition extérieure, chez l'homme moderne ; sa forme circulaire marque une limite, une protection ; ou bien elle constitue un cercle apotropéique (qui détourne le danger, qui protège), un cercle destiné à rendre la destin propice. Ainsi on retrouve le cercle-mandala soit dans la « roue du soleil » préhistorique, soit dans le cercle magique, soit dans le microcosme alchimique, soit encore comme un symbole moderne ordonnant et englobant la totalité psychique. Comme je l'ai exposé autre part, et comme le démontre l'histoire de l'alchimie, le mandala s'est, au cours des derniers siècles, de plus en plus développé pour devenir expressément un symbole psychologique de la totalité. La façon dont le mandala apparaît chez l'homme moderne peut être illustrée au moyen du rêve suivant, survenu chez une petite fille de six ans.
La rêveuse se trouve à l'entrée d'un grand immeuble inconnu. Elle y est attendue par une fée qui la fait entrer et la guide, par un grand couloir de colonnes, vers une sorte de pièce centrale, à laquelle aboutissent, venant de tous les côtés, des couloirs semblables. La fée se place au milieu de la pièce et se transforme en une haute flamme. Trois serpents rampent en une sorte de circumambulation autour du feu.
C'est là un cas classique de rêve archétype d'enfant. Il est rêvé fréquemment et même – sans influences extérieures – il est assez souvent dessiné par le sujet, qui poursuit ainsi le but évident de se défendre contre les influences désagréables et irritantes d'un entourage familial troublé et de maintenir son équilibre intérieur !
Comme le mandala décrit et symbolise la totalité psychique, la protège, la défend contre l'extérieur et cherche à concilier les oppositions intérieures, il constitue aussi un véritable symbole de l'individuation ; et, comme tel, il était déjà connu chez nous dans l'alchimie médiévale. On attribuait alors à l'âme une forme de boule, par analogie avec l'âme universelle de Platon ; dans les rêves modernes nous rencontrons ce même symbole. Son grand âge nous mène ainsi dans les espaces célestes, vers le « lieu supra-céleste » (au-dessus du ciel) de Platon, où sont rangées les « idées » de toutes choses. Rien ne s'opposerait à l'interprétation naïve selon laquelle les soucoupes volantes représenteraient des « âmes ». Naturellement, les soucoupes n'expriment pas notre conception moderne de l'âme ; elles figurent plutôt une image involontaire, archétypique, voire même mythologique, celle d'un contenu inconscient, d'un « rotundum » qui exprime la totalité de l'individu. J'ai décrit et défini cette image spontanée comme représentation symbolique du Soi, c'est à dire de la totalité d'un être, totalité composé du conscient et de l'inconscient. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à proposer cette interprétation, puisque la philosophie hermétique du Moyen Âge est arrivée à des conclusions tout à fait semblables. Le caractère archétypique de cette idée est confirmé par l'expérience fréquente de sa résurgence spontanée chez des individus modernes, qui ignorent certainement tout d'une telle tradition, qui ne savent donc pas, à ce sujet, ce qu'ils font, pas plus que leur entourage d'ailleurs. Et même des personnes susceptibles d'être au courant n'auraient jamais l'idée de penser que leurs enfants pourraient avoir des rêves qui utilisent des termes de philosophie hermétique. Dans ce domaine règne une ignorance générale tellement profonde qu'il est impossible que s'y transmette une tradition mythologique.
Dans la mesure où les corps ronds lumineux qui apparaissent dans le ciel sont considérés comme des visions, leur interprétation en tant qu'images archétypiques devient indispensable. Il faut y voir des projections involontaires basées sur un instinct correspondant à un automatisme mental ; c'est dire que ces projections, pas plus que bien d'autres manifestations ou symptômes psychiques ne sauraient être traitées de bagatelles, ni rejetées comme dépourvues de sens et dues au seul hasard. Quiconque dispose des connaissances historiques et des notions psychologiques voulues sait que les symboles de forme ronde, le « rotundum », le rond dans le langage alchimiste, ont joué un rôle considérable, en tous lieux et en tous temps , dans notre sphère culturelle, par exemple – à côté du symbole de l'âme, déjà nommé – comme image de dieu : Deus est circulus cujus centrum est ubique, cujus circumferentia vero nusquam (Dieu est un cercle dont le centre est partout mais dont la circonférence n'est nulle part). « Dieu » et son omniscience, son omnipotence et son omniprésence, l'Un, l'Univers, le symbole de totalité par excellence, est une chose ronde, complète et parfaite. Dans la tradition, les épiphanies de ce genre sont souvent accompagnées de feu et de lumière. Au niveau de l'antiquité, les soucoupes volantes auraient donc pu être facilement comprises et interprétées comme étant des dieux, des apparitions divines. Les soucoupes volantes sont d'impressionnantes apparitions de la totalité ; leur rondeur simple figure bien cet archétype qui, nous le savons, joue le rôle principal dans l'union d'éléments opposés et apparemment incompatibles ; c'est pourquoi la forme ronde des soucoupes volantes compense au mieux la vie désarticulée de notre époque. En outre, cet archétype a une importance capitale parmi les autres, car il est l'ordonnateur des états chaotiques, il confère la plus grande unité et la plus grande totalité possible à la personnalité, du Dieu-homme, de l'homme originel ou anthropos, d'un chên-yên (l'homme véritable et complet), d'un Élie qui appelle le feu du ciel, qui monte vers le ciel sur un char de feu et qui est un précurseur du Messie, de la figure dogmatiquement parée du Christ et – last but not least – du chadir islamite, le vert, qui de son côté est un parallèle d'Élie, puisqu'il vient sur terre comme personnification humaine d'Allah.
La situation mondiale actuelle est on ne peut mieux faite pour susciter l'attente et l'espérance d'un événement supra-terrestre qui dénouerait les conflits latents. Si une telle attente n'ose pas trop visiblement montrer le bout de l'oreille, c'est pour la bonne raison que personne n'est plus assez imprégné de la philosophie des siècles passés pour qu'une intervention du ciel apparaisse comme un recours allant de soi. En effet, notre évolution nous a déjà fort éloignés de cette sécurité du monde, chère au Moyen Âge et à sa métaphysique ; mais nous n'en sommes pas encore assez loin pour que nos arrière-plans historico-psychologiques se soient débarrassés de toute espérance métaphysique. Ainsi, dans le conscient, c'est une volonté de clarté rationnelle qui prédomine, méprisant toutes les tendances « occultes » : on ne les retrouve que plus sûrement dans l'inconscient.
On fait certes des efforts désespérés pour une revivification de la foi chrétienne ; mais il s'agit de la faire revivre sans atteindre à nouveau, comme autrefois, la limitation de l'image du monde qui laissait la place nécessaire à une intervention métaphysique ; il s'agit de faire revivre la foi traditionnelle, mais sans tomber dans la croyance véritablement chrétienne en l'au-delà ; car cette croyance présente aux yeux des modernes l'inconvénient de comporter une espérance corrélative en une proche fin du monde, qui mettrait un point final et définitif à l'erreur douloureuse de la création. La foi en l'en-deça et en la puissance de l'homme est devenue – malgré les affirmations contraires – une vérité pratique et pour l'instant inébranlable.
Cette attitude de l'écrasante majorité constitue la meilleure base pour la création d'une projection : les arrière-plans inconscients, malgré toutes les critiques rationalistes, se manifestent et émergent à la surface sous forme d'une rumeur symbolique accompagnée et étayée par des visions correspondantes ; ils se servent à cet effet d'un archétype qui, de toute éternité, a été le médiateur de l'ordre, de l'apaisement, de la guérison, de l'accomplissement de la totalité. Il est certainement significatif que cet archétype, par opposition avec ses élaborations dans les siècles passés, prenne à notre époque la forme d'une chose, une forme technique, comme pour éviter la révoltante indécence d'une personnification mythologique. Car ce qui paraît technique est facilement accepté par l'homme moderne. L'idée très impopulaire d'une intervention métaphysique devient infiniment plus facile à accepter si elle est aidée par les possibilités de la navigation interplanétaire. L'apparente absence de pesanteur des soucoupes volantes est certes une histoire bien difficile à digérer ; mais, se dit-on, notre physique moderne a fait récemment tant de découvertes qui touchent au miracle ! Pourquoi des habitants plus avancés d'autres planètes ne pourraient-ils pas avoir trouvé le moyen de supprimer la pesanteur et d'atteindre la vitesse de la lumière ou même davantage ? La physique nucléaire a créé dans les cerveaux des profanes une incertitude de jugement qui dépasse de très loin celle des physiciens, et qui fait apparaître comme possibles des choses qu'on aurait jugées stupides et exagérées il y a très peu de temps encore. Les soucoupes volantes peuvent donc facilement être interprétées comme un nouveau miracle de la physique et être accréditées comme telles. Je me rappelle ici non sans malaise l'époque à laquelle j'étais persuadé que quelque chose qui était plus lourd que l'air ne pouvait pas voler ; peu de temps après je dus avec une certaine gêne me rendre à l'évidence.
Mais, d'une part la nature physique des soucoupes volantes pose des énigmes même aux cerveaux les plus compétents, et d'autres part il se crée autour des soucoupes une légende tellement impressionnante qu'on est tenté de l'interpréter comme étant à 99 % une édification psychique, partant de la soumettre aux méthodes usuelles d'interprétation psychologique. Si un phénomène physique inconnu avait été la cause extérieure immédiate du mythe, cela n'enlèverait à ce dernier rien de sa valeur psychologique, puisque beaucoup de mythes sont accompagnés d'apparitions météorique et d'autres circonstances immédiates qui ne les expliquent en rien. C'est que le mythe est essentiellement un produit de l'archétype, donc un symbole inconscient qui exige une interprétation psychologique. Pour le primitif, n'importe quel objet, une boîte de conserve vide par exemple, peut prendre une valeur de fétiche ; et cet effet n'est nullement propre à la boîte de conserve ; il constitue bien davantage un phénomène psychique.
Extrait de Un mythe moderne de Carl G. Jung
Éditions Gallimard, 1961
Collection folio/essais
C'est pour cela qu'apparaissent des « signes du ciel » ; et, pour reprendre les images nées du potentiel fabulateur de notre savoir technique, ils apparaissent, dans le cas d'espèce, sous la forme d'être supérieurs, voyageant dans une sorte de véhicule cosmique. C'est d'une angoisse dont la cause n'est pas entièrement comprise, et qui par conséquent n'est pas consciente, que procèdent nos projections explicatives. Celles-ci croient, dès lors, trouver la source de notre étouffante oppression dans n'importe quel faux-fuyant, fût-il totalement insuffisant, pourvu qu'il possède la moindre trace de vraisemblance. Quelques-uns de ces trompe-l'œil sont aujourd'hui tellement démasqués qu'il paraît presque superflu de s'y attarder davantage.
Mais s'il on veut comprendre un rumeur collective qui, à ce qu'il paraît, s'accompagne même de visions collectives, on ne doit pas se satisfaire de motifs trop rationnels, superficiellement clairs et compréhensibles. La dynamique causale d'une telle rumeur, qu'il s'agit de découvrir, devra certainement toucher aux racines mêmes de notre existence si elle prétend expliquer un phénomène aussi extraordinaire que celui des soucoupes volantes. Elles furent déjà observées dans les siècles passés, mais elles constituaient alors simplement des curiosités rares et ne provoquaient que des rumeurs régionales. Ce devait être un privilège réservé à notre époque éclairée et rationaliste que d'élaborer au sujet de ces apparitions une rumeur collective et universelle. Les prédictions et le fantasme relatifs à la fin du monde, si importants et si répandus à la fin du premier millénaire chrétien, n'avaient qu'un fondement métaphysique et n'exigeaient pas la mobilisation de soucoupes volantes pour paraître rationnellement fondés. L'intervention du ciel correspondait à la philosophie, à la conception du monde d'alors. Mais notre opinion publique n'est certainement pas encline à avoir recours à l'hypothèse d'un acte métaphysique ; dans le cas contraire, nombre de curés et de pasteurs auraient déjà prêchés sur les signes avertisseurs du ciel. Notre philosophie n'a que faire du recours à la métaphysique. Nous serions plutôt disposés à penser à la possibilité de troubles psychiques, surtout du fait que notre constitution psychique, en particulier depuis la dernière guerre mondiale, est devenue quelque peu sujette à caution ; elle souffre de l'incertitude, de l'insécurité et de l'inquiétude au milieu desquelles nous vivons. Dans son effort pour apprécier et expliquer les évènements et les calamités subis par l'Europe dans les dernières décennies, l'histoire contemporaine sent la caducité et l'impuissance des moyens traditionnels. De plus en plus elle doit reconnaître que des facteurs psychologiques et psychopathologiques commencent à élargir considérablement son horizon. De là l'intérêt accru du public pensant pour la psychologie. Cette recrudescence d'intérêt, bien que logique, a certes déjà provoqué la mauvaise humeur des milieux universitaires rétrogrades et de spécialistes surpris par pareille nouveauté. Mais, malgré ces réticences, une psychologie consciente de ses responsabilité ne doit pas se laisser décourager, ni se laisser détourner de l'examen critique des apparitions collectives ; cela semble doublement nécessaire car, étant donné la monstruosité apparente des affirmations qui accompagnent ces apparitions, l'hypothèse de troubles psychiques semble la première qui s'impose au bon sens pour expliquer pareilles rumeurs.
En accord avec notre programme, nous allons nous pencher sur la nature psychique du phénomène. Résumons une dernière fois le thème central de la rumeur : pendant le jour et pendant la nuit on observe dans notre atmosphère des objets qui ne peuvent se comparer à aucune apparition météorique connue. Ce ne sont ni des météores, ni des étoiles fixes, ni des réflexions sur des couches d'air à inversion de température, ni des configurations de nuages ; ce ne sont pas des oiseaux migrateurs, ni des ballons, ni de la foudre globulaire et – last but not least – ce ne sont pas des délires d'ivresse ou de fièvre, ni le fruit de vulgaires mensonges. Ce qu'on observe en général ce sont des corps apparemment lumineux ou rayonnants, de couleurs variables, ayant la forme ronde d'un disque ou d'une boule, plus rarement celle d'un cigare ou d'un cylindre, de tailles diverses.
On raconte que ces corps seraient parfois invisibles à l'œil humains, mais que par contre ils laisseraient une tache sur l'écran du radar.
Or, en psychologie, l'apparition de corps ronds ne nous surprend pas. En effet, les corps ronds sont des formations fréquemment produites par l'inconscient dans les rêves, visions..., etc. Dans ce cas, ils doivent être considérés comme des symboles, exprimant d'une façon imagée une idée qui n'a pas été pensée consciemment, mais qui existait seulement à l'état potentiel, c'est à dire sous forme non définie et virtuelle, dans l'inconscient et que seul le processus de la prise de conscience rendra accessible à l'entendement. Une telle forme imagée n'exprime cependant qu'approximativement son contenu, lequel, en soi et jusqu'alors, était totalement inconscient. Dans la pratique, le contenu ainsi esquissé doit être complété par des interprétations complémentaires. Des erreurs se produisent inévitablement dans cette opération, et elles ne peuvent être éliminées que grâce au principe « eventus docet » (c'est l'évènement qui enseigne) ; autrement dit, c'est la comparaison de longues séries de rêves chez différents individus qui nous donnera un texte lisible d'un bout à l'autre. Il convient que les expressions imagées de notre rumeur publique soient soumises, elles aussi, aux règles de l'interprétation des rêves. En appliquant ces règles à l'objet rond observé, disque ou boule, quiconque connaît la psychologie des profondeurs reconnaîtra tout de suite l'analogie avec le symbole de la totalité : le mandala. Celui-ci n'est nullement une invention récente ; il a existé au contraire de tous temps, pour ainsi dire ubiquitairement, et a toujours été porteur de la même signification. Il se crée de nouveau, sans tradition extérieure, chez l'homme moderne ; sa forme circulaire marque une limite, une protection ; ou bien elle constitue un cercle apotropéique (qui détourne le danger, qui protège), un cercle destiné à rendre la destin propice. Ainsi on retrouve le cercle-mandala soit dans la « roue du soleil » préhistorique, soit dans le cercle magique, soit dans le microcosme alchimique, soit encore comme un symbole moderne ordonnant et englobant la totalité psychique. Comme je l'ai exposé autre part, et comme le démontre l'histoire de l'alchimie, le mandala s'est, au cours des derniers siècles, de plus en plus développé pour devenir expressément un symbole psychologique de la totalité. La façon dont le mandala apparaît chez l'homme moderne peut être illustrée au moyen du rêve suivant, survenu chez une petite fille de six ans.
La rêveuse se trouve à l'entrée d'un grand immeuble inconnu. Elle y est attendue par une fée qui la fait entrer et la guide, par un grand couloir de colonnes, vers une sorte de pièce centrale, à laquelle aboutissent, venant de tous les côtés, des couloirs semblables. La fée se place au milieu de la pièce et se transforme en une haute flamme. Trois serpents rampent en une sorte de circumambulation autour du feu.
C'est là un cas classique de rêve archétype d'enfant. Il est rêvé fréquemment et même – sans influences extérieures – il est assez souvent dessiné par le sujet, qui poursuit ainsi le but évident de se défendre contre les influences désagréables et irritantes d'un entourage familial troublé et de maintenir son équilibre intérieur !
Comme le mandala décrit et symbolise la totalité psychique, la protège, la défend contre l'extérieur et cherche à concilier les oppositions intérieures, il constitue aussi un véritable symbole de l'individuation ; et, comme tel, il était déjà connu chez nous dans l'alchimie médiévale. On attribuait alors à l'âme une forme de boule, par analogie avec l'âme universelle de Platon ; dans les rêves modernes nous rencontrons ce même symbole. Son grand âge nous mène ainsi dans les espaces célestes, vers le « lieu supra-céleste » (au-dessus du ciel) de Platon, où sont rangées les « idées » de toutes choses. Rien ne s'opposerait à l'interprétation naïve selon laquelle les soucoupes volantes représenteraient des « âmes ». Naturellement, les soucoupes n'expriment pas notre conception moderne de l'âme ; elles figurent plutôt une image involontaire, archétypique, voire même mythologique, celle d'un contenu inconscient, d'un « rotundum » qui exprime la totalité de l'individu. J'ai décrit et défini cette image spontanée comme représentation symbolique du Soi, c'est à dire de la totalité d'un être, totalité composé du conscient et de l'inconscient. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à proposer cette interprétation, puisque la philosophie hermétique du Moyen Âge est arrivée à des conclusions tout à fait semblables. Le caractère archétypique de cette idée est confirmé par l'expérience fréquente de sa résurgence spontanée chez des individus modernes, qui ignorent certainement tout d'une telle tradition, qui ne savent donc pas, à ce sujet, ce qu'ils font, pas plus que leur entourage d'ailleurs. Et même des personnes susceptibles d'être au courant n'auraient jamais l'idée de penser que leurs enfants pourraient avoir des rêves qui utilisent des termes de philosophie hermétique. Dans ce domaine règne une ignorance générale tellement profonde qu'il est impossible que s'y transmette une tradition mythologique.
Dans la mesure où les corps ronds lumineux qui apparaissent dans le ciel sont considérés comme des visions, leur interprétation en tant qu'images archétypiques devient indispensable. Il faut y voir des projections involontaires basées sur un instinct correspondant à un automatisme mental ; c'est dire que ces projections, pas plus que bien d'autres manifestations ou symptômes psychiques ne sauraient être traitées de bagatelles, ni rejetées comme dépourvues de sens et dues au seul hasard. Quiconque dispose des connaissances historiques et des notions psychologiques voulues sait que les symboles de forme ronde, le « rotundum », le rond dans le langage alchimiste, ont joué un rôle considérable, en tous lieux et en tous temps , dans notre sphère culturelle, par exemple – à côté du symbole de l'âme, déjà nommé – comme image de dieu : Deus est circulus cujus centrum est ubique, cujus circumferentia vero nusquam (Dieu est un cercle dont le centre est partout mais dont la circonférence n'est nulle part). « Dieu » et son omniscience, son omnipotence et son omniprésence, l'Un, l'Univers, le symbole de totalité par excellence, est une chose ronde, complète et parfaite. Dans la tradition, les épiphanies de ce genre sont souvent accompagnées de feu et de lumière. Au niveau de l'antiquité, les soucoupes volantes auraient donc pu être facilement comprises et interprétées comme étant des dieux, des apparitions divines. Les soucoupes volantes sont d'impressionnantes apparitions de la totalité ; leur rondeur simple figure bien cet archétype qui, nous le savons, joue le rôle principal dans l'union d'éléments opposés et apparemment incompatibles ; c'est pourquoi la forme ronde des soucoupes volantes compense au mieux la vie désarticulée de notre époque. En outre, cet archétype a une importance capitale parmi les autres, car il est l'ordonnateur des états chaotiques, il confère la plus grande unité et la plus grande totalité possible à la personnalité, du Dieu-homme, de l'homme originel ou anthropos, d'un chên-yên (l'homme véritable et complet), d'un Élie qui appelle le feu du ciel, qui monte vers le ciel sur un char de feu et qui est un précurseur du Messie, de la figure dogmatiquement parée du Christ et – last but not least – du chadir islamite, le vert, qui de son côté est un parallèle d'Élie, puisqu'il vient sur terre comme personnification humaine d'Allah.
La situation mondiale actuelle est on ne peut mieux faite pour susciter l'attente et l'espérance d'un événement supra-terrestre qui dénouerait les conflits latents. Si une telle attente n'ose pas trop visiblement montrer le bout de l'oreille, c'est pour la bonne raison que personne n'est plus assez imprégné de la philosophie des siècles passés pour qu'une intervention du ciel apparaisse comme un recours allant de soi. En effet, notre évolution nous a déjà fort éloignés de cette sécurité du monde, chère au Moyen Âge et à sa métaphysique ; mais nous n'en sommes pas encore assez loin pour que nos arrière-plans historico-psychologiques se soient débarrassés de toute espérance métaphysique. Ainsi, dans le conscient, c'est une volonté de clarté rationnelle qui prédomine, méprisant toutes les tendances « occultes » : on ne les retrouve que plus sûrement dans l'inconscient.
On fait certes des efforts désespérés pour une revivification de la foi chrétienne ; mais il s'agit de la faire revivre sans atteindre à nouveau, comme autrefois, la limitation de l'image du monde qui laissait la place nécessaire à une intervention métaphysique ; il s'agit de faire revivre la foi traditionnelle, mais sans tomber dans la croyance véritablement chrétienne en l'au-delà ; car cette croyance présente aux yeux des modernes l'inconvénient de comporter une espérance corrélative en une proche fin du monde, qui mettrait un point final et définitif à l'erreur douloureuse de la création. La foi en l'en-deça et en la puissance de l'homme est devenue – malgré les affirmations contraires – une vérité pratique et pour l'instant inébranlable.
Cette attitude de l'écrasante majorité constitue la meilleure base pour la création d'une projection : les arrière-plans inconscients, malgré toutes les critiques rationalistes, se manifestent et émergent à la surface sous forme d'une rumeur symbolique accompagnée et étayée par des visions correspondantes ; ils se servent à cet effet d'un archétype qui, de toute éternité, a été le médiateur de l'ordre, de l'apaisement, de la guérison, de l'accomplissement de la totalité. Il est certainement significatif que cet archétype, par opposition avec ses élaborations dans les siècles passés, prenne à notre époque la forme d'une chose, une forme technique, comme pour éviter la révoltante indécence d'une personnification mythologique. Car ce qui paraît technique est facilement accepté par l'homme moderne. L'idée très impopulaire d'une intervention métaphysique devient infiniment plus facile à accepter si elle est aidée par les possibilités de la navigation interplanétaire. L'apparente absence de pesanteur des soucoupes volantes est certes une histoire bien difficile à digérer ; mais, se dit-on, notre physique moderne a fait récemment tant de découvertes qui touchent au miracle ! Pourquoi des habitants plus avancés d'autres planètes ne pourraient-ils pas avoir trouvé le moyen de supprimer la pesanteur et d'atteindre la vitesse de la lumière ou même davantage ? La physique nucléaire a créé dans les cerveaux des profanes une incertitude de jugement qui dépasse de très loin celle des physiciens, et qui fait apparaître comme possibles des choses qu'on aurait jugées stupides et exagérées il y a très peu de temps encore. Les soucoupes volantes peuvent donc facilement être interprétées comme un nouveau miracle de la physique et être accréditées comme telles. Je me rappelle ici non sans malaise l'époque à laquelle j'étais persuadé que quelque chose qui était plus lourd que l'air ne pouvait pas voler ; peu de temps après je dus avec une certaine gêne me rendre à l'évidence.
Mais, d'une part la nature physique des soucoupes volantes pose des énigmes même aux cerveaux les plus compétents, et d'autres part il se crée autour des soucoupes une légende tellement impressionnante qu'on est tenté de l'interpréter comme étant à 99 % une édification psychique, partant de la soumettre aux méthodes usuelles d'interprétation psychologique. Si un phénomène physique inconnu avait été la cause extérieure immédiate du mythe, cela n'enlèverait à ce dernier rien de sa valeur psychologique, puisque beaucoup de mythes sont accompagnés d'apparitions météorique et d'autres circonstances immédiates qui ne les expliquent en rien. C'est que le mythe est essentiellement un produit de l'archétype, donc un symbole inconscient qui exige une interprétation psychologique. Pour le primitif, n'importe quel objet, une boîte de conserve vide par exemple, peut prendre une valeur de fétiche ; et cet effet n'est nullement propre à la boîte de conserve ; il constitue bien davantage un phénomène psychique.
Extrait de Un mythe moderne de Carl G. Jung
Éditions Gallimard, 1961
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Re: (1961) Un mythe moderne, Carl G. Jung - Editions Gallimard, collection Folio/Essai
Mer 27 Oct 2010, 12:00
Bonjour..
et l'homme moderne d'aujourd'hui est tout autant émerveillé quand il est confronté au phénomène ovni..
Effectivement.. tout comme un simple briquet est magique pour un Papou de Nouvelle-Guinée,Pour le primitif, n'importe quel objet, une boîte de conserve vide par exemple, peut prendre une valeur de fétiche ; et cet effet n'est nullement propre à la boîte de conserve ; il constitue bien davantage un phénomène psychique.
et l'homme moderne d'aujourd'hui est tout autant émerveillé quand il est confronté au phénomène ovni..
- Dam468Equipe du forum
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Re: (1961) Un mythe moderne, Carl G. Jung - Editions Gallimard, collection Folio/Essai
Mer 27 Oct 2010, 12:11
Ou alors comme l'avait si bien dit Jean Cocteau..Les soucoupes volantes peuvent donc facilement être interprétées comme un nouveau miracle de la physique et être accréditées comme telles.
"Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs."
et ne vous étonnez plus de toutes ces théories exotiques à base de prototypes secrets..
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Re: (1961) Un mythe moderne, Carl G. Jung - Editions Gallimard, collection Folio/Essai
Mer 27 Oct 2010, 21:15
Bonsoir,ce texte est la preuve,s'il en fallait une,que toute la problématique ovni était déjà cernée,au moins dès la fin des années cinquante!
Et que l'on n'a pas progressé d'un millimètre.
Cordialement.
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Cordialement.
- brunehautAnalyste enquêteur
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Re: (1961) Un mythe moderne, Carl G. Jung - Editions Gallimard, collection Folio/Essai
Ven 07 Jan 2011, 21:12
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