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Le "Monde diplomatique" s’intéresse aux extraterrestres et aux ovnis
Dim 19 Juil 2009, 12:47
Actualité OVNI revue de presse
Le Monde diplomatique s’intéresse aux extraterrestres et aux ovnis
Vendredi 17 Juillet 2009
il est de tradition, dans les grands médias, de ressortir le dossier des ovnis et des extraterrestres en début d’été. Cette année, nous avons une surprise : c’est Le Monde diplomatique, mensuel plutôt austère et d’esprit « tiers-mondiste », qui s’y lance, avec un grand dossier de cinq pages dans son numéro de juillet 2009. Le sujet commencerait-il à intéresser même les « intellectuels de gauche » ? Le titre est neutre et convenable : « Les extraterrestres, entre science et culture populaire ». Au menu : peu de science, beaucoup de science-fiction (avec des pages intéressantes), et surtout, au cœur du dossier, deux pleines pages signées de Pierre Lagrange, bien connu en ufologie, sur le thème « Ovnis et théorie du complot ». Les amateurs de la rhétorique lagrangienne ne seront pas déçus car cet article est un modèle dans l’art de brouiller les pistes et d’escamoter les faits.
Le chapeau fait d’entrée l’amalgame entre le dossier ovni et la littérature « conspirationniste » : « Le succès du roman « Da Vinci Code », de Dan Brown , ou de la série télévisée « X-Files », l’audience des allégations conspirationnistes sur les attentats du 11 septembre, ou quant à la réalité des premiers pas de l’homme sur la Lune incitent à s’interroger sur la place des théories du complot dans l’imaginaire politique. Or, s’il est un thème qui a été constamment mêlé à ce registre, c’est bien celui des soucoupes volantes. »
La ligne directrice étant ainsi posée, Pierre Lagrange se garde bien de dire platement que les ovnis n’existent pas, mais tout ce qu’il dit ici conduit à le supposer : il semble superflu de le préciser. Les lecteurs de Lagrange ont l’habitude de cette subtilité, mais remarquons qu’il se ménage ainsi, d’avance, une porte de sortie. Si, comme je le crois, l’existence des ovnis vient à être de plus en plus confirmée (elle l’est déjà officiellement, en France, par le Geipan !), au point d’être enfin admise dans le monde intellectuel et scientifique (ce qui va encore prendre du temps), il pourra toujours dire qu’il ne l’a jamais niée, ou que l’on n’avait pas encore de preuves irréfutables, etc. Remarquons encore, avant d’aller plus loin, que Lagrange avait un peu évolué, ces dernières années. Dans un dossier du magazine Sciences et Avenir d’avril 2006, titré lourdement en couverture « Pourquoi les OVNI ont disparu », Lagrange, à la fin d’un article subtil expliquant que les ovnis « ont disparu du ciel mais sont entrés dans la culture », finissait par lâcher une petite bombe, que peu de gens ont remarquée : « Je crois que nous sommes, en gros, les babouins du cosmos ». Décodage : oui, les ovnis et les ET sont là, mais ils sont tellement avancés que nous n’y comprenons rien ! C’est l’ « hypothèse du zoo », bien connue, selon laquelle nous sommes surveillés et manipulés par des êtres plus évolués, sans nous en douter. Dans le dossier du Monde diplomatique, Lagrange s’abstient, on s’en doute, de développer cette idée qui sent un peu trop le soufre. Et il revient à son discours classique, bien rôdé : les ovnis, c’est de la science-fiction populaire, pimentée de sauce conspirationniste.
Il faudrait prendre le temps de décortiquer, point par point, cet article trompeur, mais je vais me contenter ici de signaler quelques escamotages et entourloupes assez faciles à débusquer. Tout d’abord, dans son récit de la première vague de « soucoupes volantes », aux Etats-Unis, au cours de l’été 1947, Lagrange omet de signaler que nous disposons aujourd’hui de nombreux documents officiels américains, militaires et civils (FBI, CIA…), déclassifiés dans les années 70, qui établissent la réalité des observations d’ovnis et la mise en place d’une politique de dissimulation. Lagrange le sait bien mais il préfère écrire que « Dès cette période germe l’idée selon laquelle la vérité sur les soucoupes volantes serait cachée au public ». Il cite une lettre peu connue, adressée au FBI, « exigeant de savoir s’il participe au camouflage de données sur ces mystérieux engins volants ». Mais il oublie de citer un autre document, pourtant archi-connu, dans lequel Edgar Hoover lui-même se plaint amèrement d’être tenu à l’écart par les militaires ! Il y avait, déjà, un problème de non-communication entre les militaires et leurs collègues des agences civiles, et il est légitime de se demander pourquoi, à propos de ces ovnis qui n’existent pas. (1)
Voici une autre bizarrerie du dossier. Dans la colonne « Quelques dates », Lagrange mentionne, pour l’année 1948, un rapport « top secret » du « Project Sign » de l’armée de l’Air « concluant à l’origine extraterrestre des soucoupes ». Mais le général Vandenberg l’avait refusé et avait ordonné sa destruction, si bien que ce rapport est aujourd’hui introuvable. Tout ceci est exact, bien connu aujourd’hui, mais l’histoire aurait mérité une place dans l’article, avec au moins un mot d’explication. Il aurait fallu d’abord signaler la fameuse lettre du général Twining de septembre 1947, affirmant la réalité des ovnis, qui fut à l’origine de la création de cette commission « Sign ». Pourquoi ces officiers compétents des services techniques de l’armée de l’Air avaient-ils écrit ce rapport très secret, à la suite de quelles observations, et pourquoi avait-on ordonné, en haut lieu, sa destruction ? Ce n’est pas faire de la « théorie du complot » que de poser ces questions. (2)
Pierre Lagrange évoque ensuite l’apparition de groupes privés d’enquêteurs « amateurs », souvent appelés « soucoupistes », précise-t-il. L’expression est bonne pour les tourner en ridicule, et elle revient souvent sous sa plume. Donnons-lui un bon point, cependant, pour avoir mentionné que l’amiral Roscoe Hillenkoetter, le premier directeur de la CIA, était devenu président du principal groupe d’enquêtes, le NICAP, dirigé par le Major Donald Keyhoe. Curieux, tout de même, qu’un ex-directeur de la CIA s’intéresse d’aussi près aux ovnis, et soutienne implicitement la ligne de Keyhoe dénonçant la politique militaire du secret ! Alors, les ovnis et le secret, ce n’était pas que du folklore populaire ?
Rassurons-nous. En 1950, est paru un livre à scandale du chroniqueur de Variety Frank Scully, révélant des histoires d’accidents supposés de soucoupes volantes. (3) Le Major Donald Keyhoe, explique Lagrange, ne voulait pas entendre parler de ces histoires, et il avait bien raison car un journaliste démasqua rapidement la source de ces fausses rumeurs, un escroc du nom de Silas Newton. Il me paraît intéressant de citer ici une autre petite découverte, faite plus récemment par Karl Pflock, un « ufologue » que Lagrange connaît bien, auteur du livre de référence contre l’affaire de Roswell. Pflock a découvert que deux agents secrets (on ne sait de quel service) avaient cuisiné l’escroc Newton, pour voir ce qu’il savait au juste, puis l’avaient encouragé à continuer à raconter ses bobards ! Mais pourquoi donc ? Peut-être pour protéger de vrais secrets, se demande Pflock lui-même. (4)
C’est là qu’il faut dire un mot de Roswell qui, incidemment, n’était pas mentionné dans le livre de Scully. Lagrange a « oublié » de mentionner que, le 8 juillet 1947, la base des bombardiers atomiques avait révélé la découverte d’un ovni accidenté dans la région. Mais ce n’était qu’une méprise, a-t-on vite expliqué, une confusion avec un ballon météo et sa cible radar montés sur baguettes de balsa. Cette découverte et son démenti furent le point culminant de cette première vague historique de 1947, comme le montre bien la presse de l’époque, donnant le coup d’envoi d’une ligne dure de démenti permanent des ovnis, qui dure encore aujourd’hui. Précisons quand même que c’est une situation spécifique aux Etats-Unis. Depuis quelques années, les choses commencent à bouger dans un certain nombre de pays, dont la France (même si certains trouvent, non sans raison, que cela devrait aller plus vite !)
Voici une autre entourloupe. Lagrange raconte l’épisode bien connu du « Rapport Condon », du nom de ce physicien éminent qui avait été chargé en 1966 d’une enquête officielle sur les ovnis, sous la pression du Congrès. Condon était un savant progressiste, souligne Lagrange, qui avait été en butte à la commission McCarthy. « Ouvert à toutes les hypothèses », ajoute-t-il. Mais voilà, nous savons bien que c’est faux. Il n’y avait pas plus sceptique que lui sur ces histoires d’ovnis, absurdes selon lui. Une visite par des extraterrestres était inconcevable dans l’esprit d’Edward Condon, qui avait estimé curieusement, dans ses conclusions, qu’il n’y avait aucune possibilité de visite de la Terre au cours des …10 000 prochaines années ! (5) Il avait affirmé, d’autre part, qu’il n’avait pas trouvé la moindre preuve d’une politique du secret.(6) Or, alors que le bon Dr Condon rédigeait ces conclusions négatives, se déroulait dans la nuit du 24 octobre 1968 l’un des plus spectaculaires survols rapprochés par un ovni d’une base de missiles nucléaires, Minot AFB dans le Dakota du Nord, deux heures durant… (7) Ces dernières années, des enquêteurs très sérieux du « Sign Historical Group » ont pu reconstituer le cas, avec au moins une vingtaine de témoins, dont le copilote d’un B-52 ayant survolé l’ovni, qui a été interviewé par la grande chaîne de télévision ABC dans une émission animée par Peter Jennings en 2005. (8)
Conclusion de Pierre Lagrange sur le rapport Condon : « Ce coup d’arrêt contribue à creuser un fossé entre « culture ufologique » et culture scientifique ». Là, on ne peut qu’être d’accord. Mais, dans toute cette histoire, qui sont les naïfs ?
Pierre Lagrange évoque ensuite la divulgation, en application de la loi FOIA à partir des années 70, des nombreuses pages de documents officiels sur les ovnis, principalement du FBI et de la CIA, et il note qu’ils ont ainsi admis qu’ils « avaient menti en affirmant ne pas avoir enquêté sur le sujet ». Certes, mais c’est beaucoup mieux que cela : ces documents démontrent de manière très convaincante la réalité des ovnis et la politique du secret à leur sujet ! Ce n’est pas de la théorie du complot, là non plus. C’est vers la fin des années 70, raconte ensuite Lagrange, que la thèse du secret commence à se diffuser dans le grand public, d’abord avec le fameux film « Rencontres du troisième type » en 1977. « Enfin, Roswell vient », sous la forme d’un premier livre, celui de William Moore et Charles Berlitz, paru en 1980. C’est le seul livre pro-Roswell cité par Lagrange alors que beaucoup d’autres, bien meilleurs, sont parus depuis, qui ont d’ailleurs provoqué une enquête au Congrès, ouverte début 1994 et menée par le GAO. L’armée de l’Air, grande muette sur les ovnis, s’est alors réveillée et a rassemblé dare-dare une grosse documentation de près de mille pages sur les ballons de l’époque, pour tenter de démontrer que les aviateurs de Roswell avaient en fait découvert un « train » de ballons très secret. Mais c’étaient toujours des petits ballons météo et leurs cibles radar montées sur baguettes de balsa, d’une banalité totale. Comment les officiers chargés des bombardiers atomiques avaient-ils pu être bluffés par des baguettes de balsa ? Question idiote, conspirationniste ! En fait, l’étude attentive de cette documentation montre que le train de ballons visé, « Mogul 4 », n’avait même pas décollé pour cause de temps couvert. Fiasco total de la thèse des ballons. La commission du Congrès ne s’y est pas trompée. Ayant constaté pour sa part la destruction, non motivée et insolite, d’une grande partie des archives de la base de Roswell, elle a conclu discrètement en 1995 que « l’enquête sur la nature de ce qui s’est écrasé à Roswell continue ». Lagrange oublie de citer cela. Il est vrai qu’il avait écrit alors, dans Libération, que la commission du Congrès avait accepté l’explication des ballons ! (9)
Est-ce bien la peine de poursuivre plus longuement la pêche aux entourloupes ? Citons encore, tout de même, un raccourci saisissant. Lagrange explique que c’est l’apparition, en 1987, de documents, controversés, sur les études très secrètes menées par le mystérieux groupe « Majestic 12 » qu’aurait créé le Président Truman en 1947 à la suite de Roswell, qui a lancé en grand les théories du complot sur les ovnis. C’est en effet un jalon important sur la route des rumeurs conspirationnistes. Mais Lagrange en fait trop. Tout y passe, y compris le dossier des enlèvements qui aurait été révélé selon lui par ces documents. Il s’agit là d’une falsification. Tous ceux qui ont un peu étudié le dossier savent que les histoires d’enlèvements avaient commencé bien avant, notamment avec le cas célèbre des époux Hill, divulgué en 1966. Mais cet escamotage est commode pour écarter ce dossier gênant.
Après de telles simplifications, la voie est libre pour gloser à son aise sur les discours « soucoupistes » et les « théories du complot ». Mais on a l’impression d’un recul de Lagrange, par rapport aux timides débuts d’ouverture qu’on avait cru déceler chez lui.
(1) Signalons quelques livres en français traitant des documents américains déclassifiés : Gildas Bourdais, Ovnis. La levée progressive du secret (JMG Editions, 2001) François Parmentier, OVNI : 60 ans de désinformation (Editions du Rocher, 2004) Jean-Gabriel Greslé, Documents interdits (Editions DERVY, 2004) Gildas Bourdais, Le crash de Roswell (JMG Editions – Le temps présent, 2009)
(2) Ces épisodes sont analysés en détail dans les livres ci-dessus
(3) Frank Scully, Behind the Flying Saucers (Holt, New York, 1950. Trad. Le mystère des soucoupes volantes, Les Editions mondiales, Paris 1951)
(4) Karl Pflock, article “What’s really behind the flying saucers?”, dans la revue The Anomalist No 8, printemps 2000. (www.anomalist.com, ou librairie Arcturus Books, email : RGirard@aol.com)
(5) Dr Edward U. Condon, Project Director, Scientific Study of Unidentified Flying Objects, conducted by the University of Colorado, under research contract with the US Air Force, publié en janvier 1969 (voir page 28 du rapport, dans l’édition de poche, Bantam Book, New York).
(6) Ibid., page 5.
(7) Ce cas a fait l’objet de nombreux articles. Signalons, en français, celui deThomas Tullien, principal enquêteur du groupe : « Panique à Minot Air Force Base, revue SciFi No 1, octobre 2006. Voir aussi le livre de Jean-Jacques Velasco, Troubles dans le ciel, pp.270 à 276 (Presses du Châtelet, 2007). En anglais, voir par exemple le site http://ufocasebook.com/minotafbufo1968
(8) Cette émission est actuellement rediffusée en France par la chaîne câblée Planète No Limit, sous le titre « Rencontre avec un ovni » (notamment, 5 et 9 juillet 2009).
(9) Voir notamment ces articles sur mon blog : http://bourdais.blogspot.com/2005/11/linfluence-de-pierre-lagrange-dans-les.html http://bourdais.blogspot.com/1996/12/notes-sur-la-rumeur-de-roswell.html
Source:
http://www.rhedae-magazine.com/Le-Monde-diplomatique-s-interesse-aux-extraterrestres-et-aux-ovnis_a626.html
http://bourdais.blogspot.com/2009/07/le-monde-diplomatique-sinteresse-aux.html
Le Monde diplomatique s’intéresse aux extraterrestres et aux ovnis
Vendredi 17 Juillet 2009
il est de tradition, dans les grands médias, de ressortir le dossier des ovnis et des extraterrestres en début d’été. Cette année, nous avons une surprise : c’est Le Monde diplomatique, mensuel plutôt austère et d’esprit « tiers-mondiste », qui s’y lance, avec un grand dossier de cinq pages dans son numéro de juillet 2009. Le sujet commencerait-il à intéresser même les « intellectuels de gauche » ? Le titre est neutre et convenable : « Les extraterrestres, entre science et culture populaire ». Au menu : peu de science, beaucoup de science-fiction (avec des pages intéressantes), et surtout, au cœur du dossier, deux pleines pages signées de Pierre Lagrange, bien connu en ufologie, sur le thème « Ovnis et théorie du complot ». Les amateurs de la rhétorique lagrangienne ne seront pas déçus car cet article est un modèle dans l’art de brouiller les pistes et d’escamoter les faits.
Le chapeau fait d’entrée l’amalgame entre le dossier ovni et la littérature « conspirationniste » : « Le succès du roman « Da Vinci Code », de Dan Brown , ou de la série télévisée « X-Files », l’audience des allégations conspirationnistes sur les attentats du 11 septembre, ou quant à la réalité des premiers pas de l’homme sur la Lune incitent à s’interroger sur la place des théories du complot dans l’imaginaire politique. Or, s’il est un thème qui a été constamment mêlé à ce registre, c’est bien celui des soucoupes volantes. »
La ligne directrice étant ainsi posée, Pierre Lagrange se garde bien de dire platement que les ovnis n’existent pas, mais tout ce qu’il dit ici conduit à le supposer : il semble superflu de le préciser. Les lecteurs de Lagrange ont l’habitude de cette subtilité, mais remarquons qu’il se ménage ainsi, d’avance, une porte de sortie. Si, comme je le crois, l’existence des ovnis vient à être de plus en plus confirmée (elle l’est déjà officiellement, en France, par le Geipan !), au point d’être enfin admise dans le monde intellectuel et scientifique (ce qui va encore prendre du temps), il pourra toujours dire qu’il ne l’a jamais niée, ou que l’on n’avait pas encore de preuves irréfutables, etc. Remarquons encore, avant d’aller plus loin, que Lagrange avait un peu évolué, ces dernières années. Dans un dossier du magazine Sciences et Avenir d’avril 2006, titré lourdement en couverture « Pourquoi les OVNI ont disparu », Lagrange, à la fin d’un article subtil expliquant que les ovnis « ont disparu du ciel mais sont entrés dans la culture », finissait par lâcher une petite bombe, que peu de gens ont remarquée : « Je crois que nous sommes, en gros, les babouins du cosmos ». Décodage : oui, les ovnis et les ET sont là, mais ils sont tellement avancés que nous n’y comprenons rien ! C’est l’ « hypothèse du zoo », bien connue, selon laquelle nous sommes surveillés et manipulés par des êtres plus évolués, sans nous en douter. Dans le dossier du Monde diplomatique, Lagrange s’abstient, on s’en doute, de développer cette idée qui sent un peu trop le soufre. Et il revient à son discours classique, bien rôdé : les ovnis, c’est de la science-fiction populaire, pimentée de sauce conspirationniste.
Il faudrait prendre le temps de décortiquer, point par point, cet article trompeur, mais je vais me contenter ici de signaler quelques escamotages et entourloupes assez faciles à débusquer. Tout d’abord, dans son récit de la première vague de « soucoupes volantes », aux Etats-Unis, au cours de l’été 1947, Lagrange omet de signaler que nous disposons aujourd’hui de nombreux documents officiels américains, militaires et civils (FBI, CIA…), déclassifiés dans les années 70, qui établissent la réalité des observations d’ovnis et la mise en place d’une politique de dissimulation. Lagrange le sait bien mais il préfère écrire que « Dès cette période germe l’idée selon laquelle la vérité sur les soucoupes volantes serait cachée au public ». Il cite une lettre peu connue, adressée au FBI, « exigeant de savoir s’il participe au camouflage de données sur ces mystérieux engins volants ». Mais il oublie de citer un autre document, pourtant archi-connu, dans lequel Edgar Hoover lui-même se plaint amèrement d’être tenu à l’écart par les militaires ! Il y avait, déjà, un problème de non-communication entre les militaires et leurs collègues des agences civiles, et il est légitime de se demander pourquoi, à propos de ces ovnis qui n’existent pas. (1)
Voici une autre bizarrerie du dossier. Dans la colonne « Quelques dates », Lagrange mentionne, pour l’année 1948, un rapport « top secret » du « Project Sign » de l’armée de l’Air « concluant à l’origine extraterrestre des soucoupes ». Mais le général Vandenberg l’avait refusé et avait ordonné sa destruction, si bien que ce rapport est aujourd’hui introuvable. Tout ceci est exact, bien connu aujourd’hui, mais l’histoire aurait mérité une place dans l’article, avec au moins un mot d’explication. Il aurait fallu d’abord signaler la fameuse lettre du général Twining de septembre 1947, affirmant la réalité des ovnis, qui fut à l’origine de la création de cette commission « Sign ». Pourquoi ces officiers compétents des services techniques de l’armée de l’Air avaient-ils écrit ce rapport très secret, à la suite de quelles observations, et pourquoi avait-on ordonné, en haut lieu, sa destruction ? Ce n’est pas faire de la « théorie du complot » que de poser ces questions. (2)
Pierre Lagrange évoque ensuite l’apparition de groupes privés d’enquêteurs « amateurs », souvent appelés « soucoupistes », précise-t-il. L’expression est bonne pour les tourner en ridicule, et elle revient souvent sous sa plume. Donnons-lui un bon point, cependant, pour avoir mentionné que l’amiral Roscoe Hillenkoetter, le premier directeur de la CIA, était devenu président du principal groupe d’enquêtes, le NICAP, dirigé par le Major Donald Keyhoe. Curieux, tout de même, qu’un ex-directeur de la CIA s’intéresse d’aussi près aux ovnis, et soutienne implicitement la ligne de Keyhoe dénonçant la politique militaire du secret ! Alors, les ovnis et le secret, ce n’était pas que du folklore populaire ?
Rassurons-nous. En 1950, est paru un livre à scandale du chroniqueur de Variety Frank Scully, révélant des histoires d’accidents supposés de soucoupes volantes. (3) Le Major Donald Keyhoe, explique Lagrange, ne voulait pas entendre parler de ces histoires, et il avait bien raison car un journaliste démasqua rapidement la source de ces fausses rumeurs, un escroc du nom de Silas Newton. Il me paraît intéressant de citer ici une autre petite découverte, faite plus récemment par Karl Pflock, un « ufologue » que Lagrange connaît bien, auteur du livre de référence contre l’affaire de Roswell. Pflock a découvert que deux agents secrets (on ne sait de quel service) avaient cuisiné l’escroc Newton, pour voir ce qu’il savait au juste, puis l’avaient encouragé à continuer à raconter ses bobards ! Mais pourquoi donc ? Peut-être pour protéger de vrais secrets, se demande Pflock lui-même. (4)
C’est là qu’il faut dire un mot de Roswell qui, incidemment, n’était pas mentionné dans le livre de Scully. Lagrange a « oublié » de mentionner que, le 8 juillet 1947, la base des bombardiers atomiques avait révélé la découverte d’un ovni accidenté dans la région. Mais ce n’était qu’une méprise, a-t-on vite expliqué, une confusion avec un ballon météo et sa cible radar montés sur baguettes de balsa. Cette découverte et son démenti furent le point culminant de cette première vague historique de 1947, comme le montre bien la presse de l’époque, donnant le coup d’envoi d’une ligne dure de démenti permanent des ovnis, qui dure encore aujourd’hui. Précisons quand même que c’est une situation spécifique aux Etats-Unis. Depuis quelques années, les choses commencent à bouger dans un certain nombre de pays, dont la France (même si certains trouvent, non sans raison, que cela devrait aller plus vite !)
Voici une autre entourloupe. Lagrange raconte l’épisode bien connu du « Rapport Condon », du nom de ce physicien éminent qui avait été chargé en 1966 d’une enquête officielle sur les ovnis, sous la pression du Congrès. Condon était un savant progressiste, souligne Lagrange, qui avait été en butte à la commission McCarthy. « Ouvert à toutes les hypothèses », ajoute-t-il. Mais voilà, nous savons bien que c’est faux. Il n’y avait pas plus sceptique que lui sur ces histoires d’ovnis, absurdes selon lui. Une visite par des extraterrestres était inconcevable dans l’esprit d’Edward Condon, qui avait estimé curieusement, dans ses conclusions, qu’il n’y avait aucune possibilité de visite de la Terre au cours des …10 000 prochaines années ! (5) Il avait affirmé, d’autre part, qu’il n’avait pas trouvé la moindre preuve d’une politique du secret.(6) Or, alors que le bon Dr Condon rédigeait ces conclusions négatives, se déroulait dans la nuit du 24 octobre 1968 l’un des plus spectaculaires survols rapprochés par un ovni d’une base de missiles nucléaires, Minot AFB dans le Dakota du Nord, deux heures durant… (7) Ces dernières années, des enquêteurs très sérieux du « Sign Historical Group » ont pu reconstituer le cas, avec au moins une vingtaine de témoins, dont le copilote d’un B-52 ayant survolé l’ovni, qui a été interviewé par la grande chaîne de télévision ABC dans une émission animée par Peter Jennings en 2005. (8)
Conclusion de Pierre Lagrange sur le rapport Condon : « Ce coup d’arrêt contribue à creuser un fossé entre « culture ufologique » et culture scientifique ». Là, on ne peut qu’être d’accord. Mais, dans toute cette histoire, qui sont les naïfs ?
Pierre Lagrange évoque ensuite la divulgation, en application de la loi FOIA à partir des années 70, des nombreuses pages de documents officiels sur les ovnis, principalement du FBI et de la CIA, et il note qu’ils ont ainsi admis qu’ils « avaient menti en affirmant ne pas avoir enquêté sur le sujet ». Certes, mais c’est beaucoup mieux que cela : ces documents démontrent de manière très convaincante la réalité des ovnis et la politique du secret à leur sujet ! Ce n’est pas de la théorie du complot, là non plus. C’est vers la fin des années 70, raconte ensuite Lagrange, que la thèse du secret commence à se diffuser dans le grand public, d’abord avec le fameux film « Rencontres du troisième type » en 1977. « Enfin, Roswell vient », sous la forme d’un premier livre, celui de William Moore et Charles Berlitz, paru en 1980. C’est le seul livre pro-Roswell cité par Lagrange alors que beaucoup d’autres, bien meilleurs, sont parus depuis, qui ont d’ailleurs provoqué une enquête au Congrès, ouverte début 1994 et menée par le GAO. L’armée de l’Air, grande muette sur les ovnis, s’est alors réveillée et a rassemblé dare-dare une grosse documentation de près de mille pages sur les ballons de l’époque, pour tenter de démontrer que les aviateurs de Roswell avaient en fait découvert un « train » de ballons très secret. Mais c’étaient toujours des petits ballons météo et leurs cibles radar montées sur baguettes de balsa, d’une banalité totale. Comment les officiers chargés des bombardiers atomiques avaient-ils pu être bluffés par des baguettes de balsa ? Question idiote, conspirationniste ! En fait, l’étude attentive de cette documentation montre que le train de ballons visé, « Mogul 4 », n’avait même pas décollé pour cause de temps couvert. Fiasco total de la thèse des ballons. La commission du Congrès ne s’y est pas trompée. Ayant constaté pour sa part la destruction, non motivée et insolite, d’une grande partie des archives de la base de Roswell, elle a conclu discrètement en 1995 que « l’enquête sur la nature de ce qui s’est écrasé à Roswell continue ». Lagrange oublie de citer cela. Il est vrai qu’il avait écrit alors, dans Libération, que la commission du Congrès avait accepté l’explication des ballons ! (9)
Est-ce bien la peine de poursuivre plus longuement la pêche aux entourloupes ? Citons encore, tout de même, un raccourci saisissant. Lagrange explique que c’est l’apparition, en 1987, de documents, controversés, sur les études très secrètes menées par le mystérieux groupe « Majestic 12 » qu’aurait créé le Président Truman en 1947 à la suite de Roswell, qui a lancé en grand les théories du complot sur les ovnis. C’est en effet un jalon important sur la route des rumeurs conspirationnistes. Mais Lagrange en fait trop. Tout y passe, y compris le dossier des enlèvements qui aurait été révélé selon lui par ces documents. Il s’agit là d’une falsification. Tous ceux qui ont un peu étudié le dossier savent que les histoires d’enlèvements avaient commencé bien avant, notamment avec le cas célèbre des époux Hill, divulgué en 1966. Mais cet escamotage est commode pour écarter ce dossier gênant.
Après de telles simplifications, la voie est libre pour gloser à son aise sur les discours « soucoupistes » et les « théories du complot ». Mais on a l’impression d’un recul de Lagrange, par rapport aux timides débuts d’ouverture qu’on avait cru déceler chez lui.
(1) Signalons quelques livres en français traitant des documents américains déclassifiés : Gildas Bourdais, Ovnis. La levée progressive du secret (JMG Editions, 2001) François Parmentier, OVNI : 60 ans de désinformation (Editions du Rocher, 2004) Jean-Gabriel Greslé, Documents interdits (Editions DERVY, 2004) Gildas Bourdais, Le crash de Roswell (JMG Editions – Le temps présent, 2009)
(2) Ces épisodes sont analysés en détail dans les livres ci-dessus
(3) Frank Scully, Behind the Flying Saucers (Holt, New York, 1950. Trad. Le mystère des soucoupes volantes, Les Editions mondiales, Paris 1951)
(4) Karl Pflock, article “What’s really behind the flying saucers?”, dans la revue The Anomalist No 8, printemps 2000. (www.anomalist.com, ou librairie Arcturus Books, email : RGirard@aol.com)
(5) Dr Edward U. Condon, Project Director, Scientific Study of Unidentified Flying Objects, conducted by the University of Colorado, under research contract with the US Air Force, publié en janvier 1969 (voir page 28 du rapport, dans l’édition de poche, Bantam Book, New York).
(6) Ibid., page 5.
(7) Ce cas a fait l’objet de nombreux articles. Signalons, en français, celui deThomas Tullien, principal enquêteur du groupe : « Panique à Minot Air Force Base, revue SciFi No 1, octobre 2006. Voir aussi le livre de Jean-Jacques Velasco, Troubles dans le ciel, pp.270 à 276 (Presses du Châtelet, 2007). En anglais, voir par exemple le site http://ufocasebook.com/minotafbufo1968
(8) Cette émission est actuellement rediffusée en France par la chaîne câblée Planète No Limit, sous le titre « Rencontre avec un ovni » (notamment, 5 et 9 juillet 2009).
(9) Voir notamment ces articles sur mon blog : http://bourdais.blogspot.com/2005/11/linfluence-de-pierre-lagrange-dans-les.html http://bourdais.blogspot.com/1996/12/notes-sur-la-rumeur-de-roswell.html
Source:
http://www.rhedae-magazine.com/Le-Monde-diplomatique-s-interesse-aux-extraterrestres-et-aux-ovnis_a626.html
http://bourdais.blogspot.com/2009/07/le-monde-diplomatique-sinteresse-aux.html
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Re: Le "Monde diplomatique" s’intéresse aux extraterrestres et aux ovnis
Dim 19 Juil 2009, 15:28
Peut être la preuve que l'opération "you can, we do" est en train de faire boule de neige.
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